Les géologues ont révélé dans le sous-sol du Gabon un environnement datant d’il y a deux milliards d’années. Riche en formes de vie primitive, il aurait accueilli les premiers organismes pluricellulaires.
En juillet 2010, des recherches menées dans le bassin de Franceville, au Sud-Est du Gabon, dans la forêt équatoriale du bassin du Congo, ont livré des résultats déconcertants. L’équipe d’Abderrazak El Albani, de l’Université de Poitiers, a mis au jour de possibles organismes pluricellulaires eucaryotes (c’est-à-dire dont les cellules ont un noyau) – des métazoaires –, datant de plus de deux milliards d’années.
La signification biologique de ces nouveaux fossiles reste à trancher par les paléontologues. Mais il revient aux géologues de décrire les milieux où ces organismes se seraient développés. C’est le travail auquel nous nous sommes attelés à l’occasion de la nouvelle cartographie géologique du pays, conduite de 2005 à 2010 par le brgm (Bureau de recherches géologiques et minières, en France) pour l’État gabonais. Nous avons redécouvert les sous-sols de cette région équatoriale proche de la ville de Franceville, explorés depuis les années 1930 pour leurs nombreuses ressources minières.
Les sédiments déposés au Paléoprotérozoïque, période du Précambrien comprise entre 1,6 et 2,5 milliards d’années, sont exceptionnellement bien préservés en raison de la faible activité tectonique qu’a connue la région depuis lors. C’est ce qui permet de reconstituer son aspect à cette époque. Nous y avons trouvé, sur une assez faible étendue (moins de 30 000 kilomètres carrés, l’équivalent d’environ quatre départements français), les traces d’un environnement complexe et cohérent qui n’est pas sans évoquer des paysages actuels : des volcans jouxtaient des lagunes et des mers peu profondes, lesquelles hébergeaient de nombreuses formes de vie, telles des colonies de bactéries et des algues unicellulaires. Mais avant de décrire ces milieux et leurs liens avec la vie ancienne, nous allons d’abord présenter le contexte dans lequel cette partie du Gabon a été étudiée, puis expliquer ses caractéristiques géologiques.
La région a été décrite pour la première fois par l’explorateur français d’origine italienne Pierre Savorgnan de Brazza, fondateur de la future Brazzaville (actuelle capitale de la République du Congo), qui a ouvert la voie à la colonisation de l’Afrique centrale. Il reconnut les lieux entre 1876 et 1880, lors de sa remontée du fleuve Ogooué, à la recherche de la source du Congo. En 1881, il fonda un poste près du village de Masuku, qu’il renomma Franceville.
La connaissance géologique de la région s’est affinée au cours de prospections minières menées à partir des années 1930. Le nom de Francevillien a été donné en 1954 à ces terrains sédimentaires, dont la description se précisa grâce aux explorations menées par le Commissariat à l’énergie atomique (cea) entre 1955 et 1966. Le sous-sol de la région de Franceville s’est révélé très riche en manganèse et uranium. Il connut une grande notoriété scientifique lorsque l’on découvrit (en 1972) que sa richesse en uranium était telle qu’elle avait déclenché une réaction nucléaire spontanée il y a deux milliards d’années (le réacteur nucléaire naturel d’Oklo).
Un bassin géologique très bien conservé
En dépit de leur excellente préservation, ces couches n’ont pas suscité l’intérêt paléontologique porté à d’autres terrains datant de la même période, tels que la formation de Duck Creek, dans l’Ouest de l’Australie, vieille de 1,8 milliard d’années, ou celle de Gunflint (1,9 milliard d’années) qui affleure sur la côte Nord-Ouest du lac Supérieur, en Amérique du Nord. Dans cette dernière formation, plus facile d’accès, des microfossiles ont été décrits dès 1953, puis présentés en 1965 à la communauté scientifique. On y a décelé en particulier des micro-organismes sphériques, interprétés comme des eucaryotes unicellulaires.
Ce n’est que récemment qu’une analyse plus fine des roches a révélé, dans les couches géologiques du Francevillien, la trace de nombreuses formes de vie différenciées. Notamment, nous avons mis au jour plus d’une centaine de gisements à stromatolithes (littéralement « tapis de pierre »), des constructions d’origine biologique. Ces structures en couches sont édifiées par des filaments enchevêtrés de cyanobactéries photosynthétiques à partir de fines particules minérales accumulées par piégeage ; ces formes de vie primitive sont probablement apparues il y a 3,5 milliards d’années (ce sont les plus anciennes formes de vie connues). On trouve également en abondance des microsphères, de tailles comprises entre 30 et 40 micromètres, possibles traces fossilisées d’algues unicellulaires à chlorophylle, dont les plus anciens spécimens connus datent de 3,3 milliards d’années.
Plus largement, les sédiments se caractérisent par leur teneur élevée en carbone organique, qui peut atteindre 20 pour cent dans certaines couches (une roche contenant plus de deux pour cent de matière organique peut être considérée comme riche) : c’est un autre témoignage de la prolifération de la vie en ces lieux il y a deux milliards d’années.
Notre campagne cartographique a dépassé les seuls environs de Franceville, où se sont concentrées la plupart des études antérieures. Nous avons été confrontés aux difficiles conditions de l’exploration géologique en forêt équatoriale. Si les moyens de localisation se sont aujourd’hui améliorés – le gps a remplacé la navigation à la boussole –, les accès par pistes ou rivières navigables restent peu abondants.
Le couvert forestier très dense ne permet pas de repérer les affleurements rocheux à distance, ni depuis le sol ni par vue aérienne ou satellitaire. La recherche des roches nécessite de longues marches en forêt, souvent les pieds dans l’eau. Les roches étant altérées sur plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur, leur observation et leur échantillonnage s’effectuent le long des ruisseaux et marécages. Dans les régions peu accidentées, il faut parfois plusieurs jours de marche pour collecter quelques blocs rocheux dignes d’intérêt.
Examinons plus en détail la géologie de la formation du Francevillien. Ce terme regroupe des couches sédimentaires et volcaniques qui datent du Paléoprotérozoïque. La formation occupe trois bassins sédimentaires localisés dans les parties centrale et orientale du Gabon : les bassins des Abeilles, de Franceville et d’Okondja. Elle repose sur un socle granitique plus ancien, qui date de 2,7 à 3,1 milliards d’années (Archéen).