Le défi de réutiliser le CO2

par Samuele Furfari, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles.

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Dans son rapport spécial n°15 «Réchauffement de la planète à 1,5 ° C» (SR15) [1], le GIEC propose quatre scénarios pour limiter l’augmentation de la température de la Terre à 1,5 ° C. Dans tous les scénarios, les émissions de CO2 sont pratiquement nulles d’ici 2050. Ces scénarios reposent sur la technologie d’élimination du dioxyde de carbone (CDR), qui éliminera le CO2 pour compenser les émissions anthropiques de CO2.

« Toutes les voies qui limitent le réchauffement planétaire à 1,5 ° C avec un dépassement limité ou inexistant envisagent l’utilisation de l’élimination du dioxyde de carbone (RCO) de l’ordre de 100 à 1000 Gt de CO2 au cours du 21ème siècle. Le CDR servirait à compenser les émissions résiduelles et, dans la plupart des cas, à générer des émissions négatives nettes pour ramener le réchauffement planétaire à 1,5 ° C après un pic (degré de confiance élevé). Le déploiement du CDR de plusieurs centaines de Gt de CO2 est soumis à de multiples contraintes de faisabilité et de durabilité (confiance élevée). Des réductions d’émissions significatives à court terme et des mesures visant à réduire la demande en énergie et en terres peuvent limiter le déploiement du CDR à quelques centaines de Gt de CO2 sans recourir à la bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS) (confiance élevée) » (page 19).

Le GIEC définit « élimination du dioxyde de carbone (CDR) » comme suit : les activités anthropiques éliminent le CO2 de l’atmosphère et le stockent de manière durable dans des réservoirs géologiques, terrestres ou océaniques, ou dans des produits. Cela inclut l’amélioration anthropique existante et potentielle des puits biologiques ou géochimiques et la capture et le stockage directs dans l’air, mais exclut l’absorption naturelle de CO2 qui n’est pas directement causée par les activités humaines » (page 26).

Le quatrième scénario reconnaît l’augmentation logique et inévitable des émissions de CO2 si le monde poursuit sa croissance pour éliminer la pauvreté et permettre aux pays d’Asie et d’Afrique de se développer. Par conséquent, ce scénario repose sur une utilisation massive des techniques de CDR, comme l’indique le rapport: « Les réductions d’émissions sont principalement obtenues par des moyens technologiques, faisant largement appel au CDR« .

En effet, le CDR vient juste de repenser le concept de captage et de stockage du carbone, qui est une technologie sans issue pour remédier au manque d’économie, au manque de puits géologiques adaptés disponibles sur les sites de production et au manque d’acceptation de la population.

Il ne reste donc qu’un moyen… de transformer le CO2 en d’autres produits. Est-il possible de réutiliser le CO2 ? Oui, à condition que de l’énergie soit injectée dans le système et effectivement autant d’énergie produite pour générer du CO2. C’est le nouveau mantra pour justifier le développement des énergies renouvelables. L’intermittence de l’énergie éolienne et solaire est un réel inconvénient qui pénalise beaucoup le coût de l’électricité. Pour faire face à cette intermittence largement mise en évidence par le développement allemand des énergies renouvelables, des instituts de recherche allemands proposent de recourir à la technologie du gaz. En résumé, l’idée est d’utiliser l’électricité produite en l’absence de demande en électricité pour transformer le CO2 en produits de valeur.

Avec quelques équations chimiques, nous voyons que ceci est seulement possible en introduisant une énergie massive dans le système.

L’oxydation (combustion) du méthane :

CH4    +   2 O  → 2 H2O + CO2

libère

∆H°   =  –  802.88  kJ  à 25° C

La réduction du CO2  en méthane, avec les deux réactions successives suivantes :

2  x  (2 H2O (gas)  →  2 H2 +  O2)
4 H2 + CO2   → CH4  +  2H2O (gas)
___________________________
2 H2O  +  CO2   →   CH4    +   2 O2

demande pour la première réaction :

∆H°   =   2  x  483.88  =  967.76   kJ   à 25°C

et pour la deuxième réaction :

∆H°   =   – 164.88  kJ à 25°C

et donc un total de :

∆H°   =    802.88  kJ  à 25° C

En conclusion, produire du méthane à partir de CO2 avec de l’hydrogène généré par l’excès d’électricité intermittente nécessitera la même quantité d’énergie générée par la combustion de méthane. De plus, comme le processus chimique n’est jamais totalement efficace, il y aura en effet besoin de plus d’énergie.

Pour une réduction partielle du CO2 dans, par exemple, le méthanol (qui peut également être considéré comme un carburant), un calcul similaire donne ce qui suit :

Réduction du CO2 en méthanol (avec de l’eau en tant que source d’hydrogène), également dans une réaction en deux étapes :

3 x [2 H2O (gas) → 2 H2+ O2]
2 x [3 H2+ CO2→ CH3OH + H2O (gas)]
_____________________________
4 H2O + 2 CO2→ 2 CH3OH + 3 O2.

demandera :

∆H° = 3 x 483.88 = 1451.64 kJ à 25°C

∆H° = 2 x (- 87.02) = – 174.04 kJ à 25°C

et donc, un total de :

∆H° = 1277.6 kJ à 25° C

Globalement, il est nécessaire de fournir 638,8 KJ par mole de CH3OH formé ou par mole de CO2 transformé. C’est moins que pour la production de CH4 car le carbone est moins fortement réduit (car le méthanol contient toujours un atome d’oxygène). Encore une fois, avec l’inefficacité du processus chimique, l’énergie requise sera plus élevée (Figure 1).

Figure 1. Un processus inutile, ne produisant rien.

En fait, ce sont des considérations de base sur la thermodynamique chimique. Une réaction chimique ne se produit généralement que si elle est exothermique (elle libère de l’énergie). Une fois que les produits sont formés par cette réaction, de l’énergie doit être injectée dans le système pour régénérer les réactifs des produits (voir les figures ci-dessous):

Réactifs => produits + énergie libérée (∆H° négatif).

Inversement :

Produits + énergie => réactifs (∆H° positif).

Conclusion

Malgré toutes les déclarations politiques et en particulier l’Accord de Paris, les émissions mondiales de CO2 vont augmenter. Il s’agit d’une conclusion simple, non nouvelle et en cours, que seuls ceux qui refusent d’examiner des faits et des chiffres peuvent ignorer. Le directeur exécutif de l’AIE le répète régulièrement, même s’il utilise un langage diplomatique. Cela explique le regain d’intérêt pour l’élimination du CO2 d’origine fossile provenant de combustibles fossiles. Parmi ces technologies, la transformation du CO2 en produits de valeur est présentée comme une nouvelle idée. Mais ce ne l’est pas! Elle a été éliminée dès le début de la politique sur le CO2 parce que c’est un non-sens chimique. Nous avons rappelé ici en employant la chimie de base que toute transformation du CO2 en produits nécessite de l’énergie. L’élimination du CO2 de l’atmosphère ne sera possible que si le monde entier fonctionne pratiquement à zéro émissions de CO2 avec des énergies renouvelables et du nucléaire exclusivement. Jamais avant. Mais alors il ne sera plus nécessaire de supprimer le CO2.