Texte de A. Préat (Université libre de Bruxelles).
Professeur émérite de l’Université Libre de Bruxelles. Citer comme A. Préat, « Gaz de schiste et gaz de roche mère» http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2441
24.03.2018
Le premier puits de gaz naturel est creusé à la pelle, en 1821, à Fredonia (État de New-York, aux États-Unis), à 9 mètres de profondeur, dans des roches carbonifères naturellement fracturées et il est rentable (le gaz remplaçant l’huile de baleine valait 2 000 $/baril en termes actuels). De 1850 à 1900, d’autres puits sont forés en Europe (Angleterre surtout) et États-Unis (Louisiane, Michigan), et exploitent également l’huile de schiste ou shale oil1. Ce premier essor de mise en valeur de gisements d’hydrocarbures non conventionnels est stoppé net par la découverte des grands gisements de pétrole conventionnels du Moyen-Orient dans les années 1950-1960.
Face à l’épuisement relatif des hydrocarbures conventionnels, grâce surtout aux progrès technologiques (forages horizontaux) et aux nouvelles connaissances géologiques dans les techniques d’exploration-production, nous redécouvrons les hydrocarbures non conventionnels qui semblent promis à une seconde jeunesse. Ils « dorment » à plus de 1 000 m de profondeur et ils ne sont pas rentables au-delà de 4 000 m de profondeur. Ils sont donc principalement exploités entre 1 000 et 4 000 m sous des conditions de pression de 300 à 600 bars (qui compensent les pressions litho- et hydrostatiques, c’est-à-dire le poids de la colonne sédimentaire surincombante et de l’eau intersticielle qu’elle contient). Ces pressions sont donc énormes puisque la pression atmosphérique au niveau de la mer est de 1 bar. Les formations qui les contiennent doivent être cassantes pour la fracturation, donc renfermer suffisamment de minéraux résistants (quartz, feldspaths, carbonates) de sorte que, souvent, il ne s’agit plus de « schistes » sensu stricto. Si l’eldorado du pétrole conventionnel est bien au Moyen-Orient, celui des shale gas se trouve aux États-Unis qui possèdent la meilleure composition minéralogique pour la fracturation. Leur porosité (inférieure à 5%) et perméabilité (inférieure à 0,001 mD2) sont très faibles, et inférieures à celles d’une brique, d’où la nécessité de les fracturer, ce qui permet un gain jusqu’à 7 ordres de grandeur dans l’échelle des perméabilités. C’est George P. Mitchell (1919-2013) qui relança, à ses risques et périls financiers, la seconde jeunesse des shale gas. La première fracturation eut lieu en 1947 dans le champ d’âge permien de Hugoton (Texas). Il exécuta, au cours de sa carrière, plus de 10 000 puits et développa la technique de fracturation qui a toujours cours aujourd’hui. Les fracturations sont nombreuses car la production des puits décline rapidement. Le nombre d’appareils à forer dans les roches mères est passé de 100 à 1 500 entre 2003 et 2010 et rien ne semble arrêter cette progression.
Aujourd’hui, pour produire un volume de gaz non conventionnel équivalent au conventionnel, il faut 100 à 200 fois plus de puits (horizontaux), et 1 000 fois plus par rapport à l’eldorado des puits (verticaux) du conventionnel du Moyen-Orient. Plusieurs millions de fracturations ont déjà eu lieu aux États-Unis (500 000 en 2012). La tendance aujourd’hui est à l’exploitation des shale oil avec ou sans shale gas, ce qui est économiquement plus rentable. Les impacts macroéconomiques et géostratégiques sont très importants, surtout pour les États-Unis.
Que faut-il penser de cette nouvelle ruée sur l’or noir ? Impossible de répondre dans cette rubrique trop courte, mais chaque jour nous sommes 200 000 consommateurs de plus sur la Terre (naissances moins décès), à chaque instant 500 000 personnes environ sont dans les 24 000 avions qui se déplacent 24h sur 24… Nous sommes des énergivores invétérés : cela fait aussi partie de la question.
Sur ce sujet, voir aussi le dossier de Science et pseudo-sciences n°301 de juillet 2012.
1 À ne pas confondre avec oil shale (schistes bitumineux) qui renferme de la matière organique immature sous forme de kérogène. Les terrains mésozoïques du Bassin de Paris, par exemple, contiennent beaucoup plus d’oil shale – peu ou pas rentable – que de shale oil, plus intéressant.
2 mD : milliDarcy (du nom de l’hydraulicien français) – unité de mesure de la perméabilité.