par André Lambert, Géologue, ULg-1973
Dumont, un géologue belge d’exception
L’intimidante statue d’André Dumont se dresse à l’entrée principale de l’Université, place du XX Août à Liège. Ce grand géologue semble bien sombre et plutôt dubitatif. Alors que l’on tague Voltaire à Paris, il regarde passer la troupe des leaders étudiants qui organisent dans la salle Gothot une prochaine marche pour le climat.
Son doigt pointe encore vers le nouveau bassin houiller qu’il a pressenti et découvert dans un forage, à plus de 500m sous la surface campinoise, en 1901. Au-delà de son génie en tant que géologue et explorateur, ce fut un savant hors pair et un excellent professeur qui inspire encore aujourd’hui les scientifiques. La Médaille André Dumont est une récompense prestigieuse qui honore chaque année un géologue de renommée internationale.
Le Professeur a maintenant l’air d’accuser : ”qu’avez-vous fait de votre héritage ?» ou « allez-vous me peindre la figure en rouge ou me déboulonner?”
On a exploité environ un milliard de tonnes de roches carbonifères en Belgique. Il en reste encore plus du double en place. La Belgique a été une des pionnières de l’exploitation du charbon, elle fut en effet la première avec les Anglais à aller en chercher à grande profondeur.
A partir des années 60, la production charbonnière s’est érodée progressivement jusqu’à la fermeture du dernier charbonnage de Beringen-Zolder, en 1992.
Aurait-on pu, avec des financements adéquats continuer une exploitation plus propre et plus efficace, et puis poursuivre les idées nouvelles qui ne manquaient pas: améliorer les modes de combustion, distiller les couches en place au moyen de forages …?
Non : l’industrie belge du charbon a ramé avec peine contre tous les courants, pendant un demi-siècle, avant d’agoniser.
Premier déclin du charbon
Le premier clou dans le cercueil du charbon a été enfoncé par la guerre 1940-45. Les dommages en surface, dus aux bombardements, ont été limités. Mais dans les puits et les galeries, la surexploitation, le manque d’investissements et les sabotages des deux camps [1] ont laissé bien des chausse-trappes. Au sortir de la guerre les mineurs sont épuisés et sous-alimentés. Qu’importe, on leur demande encore plus, on va commencer maintenant la bataille du charbon pour subvenir à la reconstruction du pays. Avec toujours la même surexploitation soutenue par un investissement déficient, recette de catastrophes. Les tragédies, honteuses, se multiplient.
Second déclin du charbon
Le second clou est lié au dumping périodique des charbons américains et allemands:
… « le courant des échanges de charbon américain ne cessera de prendre de l’ampleur dans l’approvisionnement européen, allant jusqu’à réduire les échanges de charbon allemand au sein du marché européen. La place prise sur le marché européen par les deux concurrents de 1946 à 1958 est … de presque 18 millions de tonnes pour le charbon américain, et de 10 millions de tonnes pour le charbon allemand, soit presque la moitié. L’abondance du charbon américain a primé sur la qualité du charbon allemand [1] ».
Troisième déclin du charbon
Au début des années septante, voici déjà quelque temps que l’on ne se chauffe plus au charbon dans certaines maisons, on utilise des poêles à mazout et les plus riches passent au chauffage central, au mazout d’abord et puis progressivement au gaz naturel. Vient le choc pétrolier de 1973-74; les principaux pays développés décident de déployer le nucléaire mais les Verts, déjà très puissants, essayent de s’y opposer.
Quatrième déclin du charbon
Le quatrième clou s’enfonce lentement dans le contexte de la guerre froide, durant plus de deux décennies. Les puissants syndicats de mineurs sont pris dans l’engrenage. Les Russes leur promettent des fonds pour soutenir leurs grèves et augmenter leur pénétration, de l’autre côté la CIA organise ses coups fourrés, allant jusqu’à faire assassiner les syndicalistes les plus compromis (réseau Gladio [2]). Les dirigeants Européens font tout ce qu’ils peuvent pour endiguer cette influence, au détriment même de l’industrie. L’année 1984 en marque l’ apogée avec les grandes grèves au Royaume-Uni, “cassées” par Margareth Thatcher : ” ce fut la confrontation domestique décisive des années Thatcher : un conflit qui a mis face-à-face le syndicat le plus puissant et le plus politisé du pays contre une administration Conservatiste revancharde et prête à mettre à la poubelle le coeur industriel et le secteur énergétique du pays, sans aucun égard pour le coût [3]”.
Et aujourd’hui ?
Le clou final est toujours en action…
Parti de quasi rien au début du siècle, aux USA, Enron commence par développer de petits gisements de gaz naturel vers 1930. Suit une croissance phénoménale dans l’ après-guerre. Durant la décennie 80 Enron Corporation s’impose comme le premier courtier en énergie au niveau mondial.
A cette époque, le marché des produits financiers dérivés explose et Enron y excelle avec ses banques partenaires : City, JP Morgan Chase et Goldman Sachs pour les principales. Ce sont des gens très malins: “the smartest guys in the room [4]”, et très gourmands. Ils veulent conquérir toutes les parts de marché. Cela implique de mettre le charbon hors-jeu en faisant un lobbying intense auprès de l’administration Clinton et son agence de l’environnement, l’EPA.
D’abord ils commencent par pénaliser fortement les émissions de soufre, ce qui est en soi une très bonne initiative. Les premières amendes tombent sur le charbon et … sur le pétrole. Le Baron John Browne, patron de BP, entraîne Shell avec lui pour tenter un accord avec Enron afin de limiter les dégâts: “… si vous n’êtes pas assis à notre table, vous ferez partie du menu ! ”. Cette relation semble contre nature, même aux yeux du chef des relations publiques de Enron, Chris Horner, qui s’enquiert: ”qu’est-ce que l’on fiche avec cette bande de gens qui veulent nous bouter hors du business? [5]”. On lui répond: “on veut d’abord en finir avec le charbon”. C’est clair, c’est net, et c’est abondamment documenté.
L’idée colportée par Al Gore est mise sur la table : il faut taxer le CO2. Gore est bien en phase avec Enron et les Banques, cette relation est aussi abondamment documentée [6]! Cette idée, géniale dans le contexte, arrange tout le monde : les gouvernements ont un catéchisme pour pouvoir liquider les mines et leur cortège de fantômes de la guerre froide sans arrières pensées. Les électriciens du nucléaire qui ne génèrent pas de CO2 sont heureux de s’en emparer. Pour Enron et ses partenaires la compétition du nucléaire reste heureusement faible: après l’accident de Three Miles Islands en 1979, la catastrophe de Tchernobyl donne le coup de grâce aux centrales, en 1986. De toute façon Enron a la mainmise sur le réseau électrique.
Mais il y a beaucoup mieux à venir : sur base de ce concept on va créer un marché de crédits carbone (Cap and Trade) et on s’attend à une manne qui dépassera le trillion de dollars, manne qui sera accessible aux ”smartest guys”. Al Gore ne s’y perd pas [7]. La Mafia non plus [8]. Le seul qui paye, c’est le consommateur [9].
Dumont était un homme pratique, il ne faisait pas dans la grande philosophie et donnait des messages simples : “ La géologie n’est pas une science sédentaire et paresseuse qui se puisse acquérir dans le repos et dans l’ombre d’un cabinet. Elle veut qu’on courre les montagnes, qu’on gravisse les rochers escarpés… [10]”. Effectivement la connaissance ne tombe pas du ciel ou des téléphones mobiles, elle doit se gagner.
En guise de conclusion…. ?
Les dés sont pipés contre le charbon, comme on peut lire ci-dessus. Il faudrait d’abord se libérer des idées préconçues et du dogmatisme ambiant pour évaluer si on peut encore faire quelque chose avec cette énorme ressource sous nos pieds.
Les compte rendus d’efforts anciens sont accessibles dans les publications du Service Géologique de Belgique [11] ou au BRGM [12], et peuvent constituer un point de départ.
La technologie de production de ‘charbon propre’ fait également de grands pas (World Coal Association).
Que pourrait-il bien dire, André Dumont, quand il voit passer ces jeunes gens sous ses pieds, place du XX Aout ?
NOTES
- Le marché du charbon, un enjeu entre l’Europe et les Etats-Unis de 1945 à 1958 Régine Perron 1996 Edition de la Sorbonne (https://books.openedition.org/psorbonne/685).
- Gladio NATO’s Dagger at the Heart of Europe Richard Cottrell, 2012. Smashwords edition
La présence communiste dans les entreprises belges de l’après-guerre (1945-1948) Thèse en histoire, Adrian Thomas Ulg, 2014. - The enemy within. The secret war against the miners, Seumas Milne 2014 editions Verso
“It was the decisive domestic confrontation of the Thatcher years: a conflict which pitted the most powerful and politicized trade union in the country against a hard-right Conservative administration bent on class revenge and prepared to lay waste to the country’s industrial heartlands and energy sector in the process, regardless of cost”. - The smartest guys in the room McLean B. Elkin P. 2014 Penguin.
- http://www.globalwarming.org/2009/04/28/gores-inconvenient-enron/ Red Hot Lies, Chris Horner 2008 Regnery Publishing.
- Climate of Corruption Larry Bell 2011 Greenleaf Books.
- Googler “Gore, Enron, Goldman Sachs” simultanément.
- https://www.europol.europa.eu/newsroom/news/carbon-credit-fraud-causes-more-5-billion-euros-damage-for-european-taxpayer.
- https://www.c-span.org/video/?c4502083/user-clip-rep-steve-scalise-challenges-al-gore-climate-change.
- André Dumont – Inventaire des notes de voyage p. VII Université de Liège.
- Compilées dans www.cleancoal.be
- https://www.brgm.fr/sites/default/files/brgm-ineris_rapport-gaz-houille_2013.pdf
Vous écrivez : « « « Parti de quasi rien au début du siècle, aux USA, Enron commence par développer de petits gisements de gaz naturel vers 1930 » » » » » »
Or on peut lire sur WIKI
« « « « « « En juillet 1985, Enron nait de la fusion de Houston Natural Gas et de la Internorth of Omaha2. » » » » » »
Puis pas un mot de Merkel qui ferme des centrales nucléaires et ouvre des mines de charbon et de lignite
Je pense que le charbon a encore plein d’avenir devant lui et que les écolos dans cinquante ans trouveront des bienfaits au CO2 qui réchauffe la planète