par Jacques Marlot, Ingénieur civil retraité
Le 25 juillet 2019 a été enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale française le RAPPORT fait au nom de la Commission d’enquête sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique.
C’est un rapport de 346 pages en ligne sur http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-enq/r2195-t1.pdf qui ne semble pas avoir suscité dans la presse les commentaires auxquels on aurait pu s’attendre et qui auraient pourtant été amplement justifiés. Certes c’est un rapport qui concerne la France, mais son contenu et ses conclusions s’appliquent aussi à la Belgique, compte tenu des similitudes entre les mix énergétiques des deux pays.
Le rapport montre que les impacts et les enjeux de la transition énergétique apparaissent aujourd’hui indissociables de toutes les politiques industrielles, de tous les intérêts économiques et de toute réflexion environnementale. Il en résulte que la question énergétique est de nature à conditionner la stabilité d’une nation, tant l’énergie est devenue indispensable pour assurer la sécurité quotidienne des citoyens.
Les 73 auditions ont occupé la commission durant une centaine d’heures et la liste des personnes entendues occupe 12 pages du rapport ; c’est dire que tous ont eu l’occasion de présenter les avantages et les inconvénients des solutions proposées.
Dans son avant-propos, le président Julien Aubert souligne que la transition énergétique coûte cher. Elle a un coût croissant pour le consommateur d’énergie et contribuable. Pourtant, telle qu’elle est conçue, cet effort a une portée limitée au regard des enjeux climatiques, notre production d’électricité étant déjà faiblement émettrice de gaz carbonique. Il structure son propos en 4 points.
1. La transition du nucléaire vers les énergies électriques intermittentes n’a aucun impact sur le CO2 et ne permet donc pas de lutter contre le réchauffement climatique
a. L’impact sur le CO2
Si l’on se fixe pour objectif de diminuer les émissions de CO2, aucune ambiguïté ne demeure quant aux cibles des actions prioritaires à mener :
il s’agit du transport et du bâtiment.
Or, si l’on met la répartition par filière de l’aide publique à la transition énergétique en regard d’un tel constat, la conclusion apparaît tout autant dépourvue d’ambiguïté : les choix de soutien public tendent avant tout à mettre en oeuvre une nouvelle transition électrique, visant à substituer au nucléaire des énergies alternatives électriques. Compte tenu des caractéristiques de notre bouquet électrique, de tels choix visent donc essentiellement à substituer une énergie décarbonée à une énergie déjà décarbonée.
Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Jean François Carenco, le président de la CRE (Commission de Régulation de l’Énergie), ne s’en est d’ailleurs pas caché et a expressément convenu du fait que la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables électriques ne sont pas réalisés dans le but de diminuer les émissions de gaz à effet de serre : » Il ne faut pas s’y tromper : grâce au mix énergétique décarboné, composé principalement de nucléaire et d’hydroélectrique, nous bénéficions déjà de faibles émissions de CO2 et d’un prix de l’électricité maîtrisé. Nous émettons six fois moins de CO2 que nos voisins allemands et le prix de l’électricité pour un consommateur résidentiel moyen est de l’ordre de 180 euros par mégawattheure contre 300 euros en Allemagne. Le développement des énergies renouvelables électriques ne sert donc pas à réduire les émissions de CO2. Il faut le rappeler, car on dit beaucoup de mensonges à ce sujet. Cela n’a aucun sens et procède d’une forme de populisme idéologique« .
b. L’impact environnemental
Si l’on passe à une approche en termes de cycle de vie et d’efficacité de la production, il apparaîtra que les énergies renouvelables consomment plus de matières minérales et métalliques que les technologies du bouquet énergétique traditionnel, ainsi qu’une plus grande variété de métaux. Selon le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM, [1]), par rapport aux énergies fossiles, pour une même quantité d’énergie produite, l’éolien et le photovoltaïque nécessitent quinze fois plus de béton, quatre-vingt-dix fois plus d’aluminium et cinquante fois plus de cuivre. S’agissant des métaux, 70 % des métaux de la table de Mendeleïev sont nécessaires à la transition énergétique.
La commission d’enquête ne prétend pas qu’il existerait des moyens de produire de l’énergie sans inconvénients, mais souligne le déséquilibre existant entre un discours excessivement à charge dans le cas des énergies fossiles et un discours excessivement à décharge dans le cas des énergies dites vertes. Dans ses auditions, la commission d’enquête s’est attachée à corriger ce déséquilibre.
Ce premier constat pose deux problèmes :
– Le premier est que ce choix énergétique représente une dépense de plusieurs dizaines de milliards d’euros, en période de disette budgétaire, sur fond de crise du consentement fiscal. Cela nous amène au point 2 de cet avant-propos.
– Le second est celui de l’acceptabilité sociale, car l’opinion publique est trompée sur le véritable impact de la politique éolienne et photovoltaïque. Cela sera étudié dans le point 3 de cet avant-propos.
2. Combien coûte la transition énergétique ?
a. Le coût budgétaire de la politique de soutien aux énergies intermittentes se chiffre en dizaines de milliards d’euros en raison d’un modèle économique dépendant des subventions publiques et ce modèle est peu flexible.
Si on prend l’exemple du soutien public à l’éolien, l’addition des différents soutiens directs représente de 72,7 à 90 milliards d’euros, pour une filière appelée à représenter 15 % au maximum de la production électrique en 2028.
Cette stratégie a eu quatre conséquences.
La première conséquence, passée, est que ces « frais de démarrage » ont mobilisé près de 24 milliards d’euros (15 pour le photovoltaïque, 9 pour l’éolien), prélevés sur la facture d’électricité, qui ont cruellement manqué à l’investissement dans l’avenir du parc nucléaire;
La seconde conséquence est que ce soutien nous oblige pour l’avenir et représente une dépense publique à venir de près de 70 milliards d’euros (25 milliards pour le photovoltaïque, 45 milliards d’euros pour l’éolien), sans compter les engagements de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE);
La troisième conséquence est donc qu’en réalité ces « crédits votés » conditionnent durablement et implacablement les « dépenses nouvelles ». Parce que l’éolien et le photovoltaïque sont des filières sorties plus tôt que d’autres dans le débat écologique, elles bénéficient structurellement d’un soutien public qui fait défaut désormais, faute de poches publiques inépuisables, aux industries nouvelles.
Une forte inertie marque donc le soutien aux énergies renouvelables électriques. Selon les hypothèses de la CRE, en 2017, à partir des rythmes de développement observés pour les différentes filières, l’essentiel des charges en 2023 (84 %) relèvera de dépenses pour des engagements de soutien antérieurs à 2017. Il faudra attendre 2030 pour voir une diminution significative de la charge annuelle au titre des engagements passés;
La quatrième conséquence, qui ressort des auditions de la commission d’enquête est que, sous l’étiquette d’un marché régulé, la transition énergétique a beaucoup d’un commerce de subventions publiques. Les acteurs du système ont beaucoup de mal à penser, imaginer ou même accepter l’idée qu’on puisse dans un avenir proche retirer ces aides.
On pourrait même craindre une spirale du subventionnement : soit les énergies éolienne et solaire ne sont pas compétitives par elles-mêmes, mais uniquement parce qu’on leur garantit une injection prioritaire de leur production dans le réseau et qu’on impose aux consommateurs-contribuables d’en supporter les surcoûts et il n’y a alors pas de perspective de voir disparaître ce subventionnement, soit ces énergies sont matures, et dans ce cas, même dans un marché régulé, il est légitime d’envisager la suppression des subventions.
À l’étape actuelle de ce cheminement, l’argument de la compétitivité croissante des énergies renouvelables électriques est souvent mis en avant, ce qui signifie, hélas, en pratique et si l’on veut parler clair, qu’elles restent donc encore économiquement non compétitives sans soutien public.
b. La réflexion en coût marginal de production, qui est celle privilégiée par le rapport, occulte totalement le coût global économique de la politique de transition électrique.
Ce qui importe, c’est le coût complet. L’adaptation aux injections d’électricité d’origine renouvelable se fait par la réduction de la production des moyens classiques (exemple : centrale à gaz), dont le coût moyen de production augmente.
En d’autres termes, plus on développe des énergies intermittentes, plus on perturbe le modèle économique des autres modes de production.
3. L’acceptabilité : consentement fiscal, acceptabilité sociale
a. Ces surcoûts sont payés par les citoyens français, mais la complexité est telle que la transition est une boîte noire.
b. De l’acceptabilité sociale dans les territoires en général, et du problème de l’éolien en particulier.
Lors de leur audition précitée, les représentants du BRGM ont indiqué que pour remplacer un réacteur nucléaire de 1 GW fonctionnant avec un facteur de charge de 75 %, il faudrait recouvrir 5200 hectares de panneaux photovoltaïques, soit la moitié de la surface de Paris.
4. Agir avant qu’il ne soit trop tard, pour l’économie et la planète.
L’attente du « deus ex machina » du stockage nous évitera un black-out électrique européen. Sauf s’il arrive trop tard…
Les gestionnaires de réseaux doivent désormais faire face aux conséquences de l’intermittence et du caractère non pilotable des énergies renouvelables électriques photovoltaïque et éolienne.
L’argumentation en faveur du stockage, permettant en quelque sorte d’adjoindre une dimension pilotable aux techniques de production intermittentes, se décline en options techniques différentes. La durée et le coût de ce stockage résultent de paramètres techniques et économiques.
Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Jean-Marc Jancovici a d’ailleurs douté de la crédibilité des scénarios remplaçant la totalité de la production d’électricité d’origine nucléaire par une production éolienne accompagnée de stockage. Il a procédé à une comparaison, en ordre de grandeur, des investissements requis dans l’une ou l’autre hypothèse. À consommation finale d’électricité identique, il convient, compte tenu de la disparité des facteurs de charge respectifs, d’investir dans une puissance trois fois supérieure dans le cas de l’éolien, qu’il faudra renouveler deux à trois fois compte tenu de la moindre durée de vie de l’investissement.
Le dimensionnement actuel du réseau ne demanderait pas d’adaptation dans le cas du nucléaire, il devrait être mis à niveau, dans le cas de l’éolien, compte tenu de la puissance installée requise pour pallier les effets du facteur de charge. Le besoin de stockage serait, annuellement, en moyenne de l’ordre de la moitié de la production, ce qui, compte tenu des pertes d’énergies liées au stockage, nécessiterait de sur-dimensionner le parc éolien pour produire l’électricité perdue au cours du processus de stockage lui-même (pompage, turbinage, transport). En tenant compte d’un coût au kWh deux à quatre fois moins élevé dans le cas de la puissance installée éolienne par rapport à la puissance installée nucléaire, le système électrique éolien demanderait un montant d’investissement cinq fois supérieur au montant requis par le système électrique nucléaire, dans l’hypothèse la moins favorable à ce dernier.
Une objection commune aux critiques consisterait à soutenir que les moyens de stockage de l’électricité vont progresser, et qu’ils permettront de lisser la production éolienne. Or à l’heure actuelle, il n’existe aucun moyen de stockage économiquement viable. Peut-être y en aura-t-il dans vingt ou trente ans ? Mais à cette date, toutes les éoliennes implantées actuellement seront obsolètes. Pendant toute leur durée de vie, elles auront causé les effets pervers indiqués plus haut. Le bon sens commande donc d’attendre de connaître les futures possibilités de stockage avant de se lancer à tout va dans de nouvelles implantations d’éoliennes.
L’intermittence du solaire et de l’éolien ne permet pas de suppléer le moteur nucléaire. Je regrette que la fréquence de ces évènements n’ait pas semblé suffisamment sérieuse pour questionner plus durement l’optimisme affiché de certaines personnes auditionnées.
Si le volontarisme actuel autour de la montée en puissance des énergies renouvelables a sous-estimé le risque d’un réseau européen interconnecté avec une diminution du nucléaire français, coussin de sécurité de l’ensemble, et une augmentation massive de l’incorporation d’électricité intermittente, l’Europe connaîtra une panne électrique de très grande ampleur (‘blackout’) qui ne pourra qu’être dévastatrice en matière économique mais aussi en termes d’ordre public. À titre de comparaison, la panne électrique survenue en 2003 aux États-Unis, qui a duré 24 heures, a coûté six milliards de dollars. La panne électrique de 1977 à New-York, qui a duré 36 heures, a provoqué des émeutes et des pillages, entraînant l’arrestation de 4 000 personnes et une perte de 150 millions de dollars pour les commerces. Une panne électrique européenne de très grande ampleur plongerait la France dans le noir pendant une durée probablement plus proche de 48 heures.
Note
[1] Service géologique national, le BRGM est l’établissement public de référence dans les applications des sciences de la Terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol.
Le BRGM a pour ambition de répondre à des enjeux majeurs pour notre société, plus particulièrement à ceux liés au changement climatique, à la transition énergétique et au développement de l’économie circulaire. Autour des géosciences, le BRGM développe une expertise pour contribuer à une gestion harmonisée et un usage maîtrisé du sol et du sous-sol des villes et des territoires. https://www.brgm.fr/brgm/le-brgm-service-geologique-national/brgm-service-geologique-national
En résumé: Il faut que la lumière s’éteint (blackout) pour que certaines esprits s’illuminent…