Pierre Verhas
Agent de l’Etat honoraire, auteur, blogueur,
auteur entre autres de « L’histoire de l’Observatoire Royal de Belgique » publiée par l’Académie Royale de Belgique en 2014.
Et c’est reparti ! Le 27 octobre dernier à 3 h, nous avons retardé nos montres et horloges d’une heure pour passer de l’heure d’été à l’heure d’hiver. Ce ne fut que la quarante et unième fois que nous fûmes contraints à effectuer ce geste !
Mais, on dit que cela va changer : il n’y aurait plus de changement d’heure saisonnier à partir de 2021.
Pourquoi, alors que le changement d’heure saisonnier a été instauré en Europe en 1977, et un peu plus tard dans la plupart des pays du monde, la question de son maintien se pose-t-elle depuis le début de l’année ?
La Russie [1] et la Turquie [2] ont décidé d’en revenir à une heure unique sur toute l’année. Cela a évidemment des conséquences sur leurs voisins. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne a organisé cet été via Internet une consultation sur le changement d’heure. Il en résulte qu’une large majorité souhaite sa suppression. En effet, ce fut une étrange idée qu’eut en 1976 le Président français Giscard d’Estaing de procéder au changement d’heure, appliqué à partir de 1977, en principe destiné à économiser l’énergie et à allonger les soirées ensoleillées en été, fruit de cette curieuse alliance des technocrates et des bobos avec comme résultat l’introduction d’une contrainte supplémentaire dont tout le monde se serait bien passé.
Mais quelle heure faudra-t-il adopter pour toute l’année ? Le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker a opté pour le maintien de l’heure d’été.
Comme bien d’autres, au contraire, je plaide pour le retour à l’heure d’hiver comme c’était le cas avant 1977 et ce, pour plusieurs raisons.
L’heure d’été pour les pays arrosés par la Mer du Nord et l’Océan Atlantique a un décalage de 2 heures par rapport à l’heure solaire moyenne au méridien de Greenwich dite UTC (Universal Time Coordinated), autrefois GMT (Greenwich Mean Time) [3] qui n’existe plus depuis l’adoption du Système International d’Unités (SI). En réalité, la Belgique a un décalage réel d’environ 20 minutes par rapport à UTC. Donc, l’heure d’été est en avance de 1 h 20 min par rapport à UTC. En France, la ville de Perpignan (Pyrénées orientales) est située sur le méridien de Greenwich ; donc les villes de Saint-Jean de Luz, Biarritz, Bordeaux sont situées à l’Ouest de ce méridien et ont aussi un décalage de 1 heure en été ! C’est aussi le cas de la côte Nord-Ouest de l’Espagne. Et n’oublions pas la pointe occidentale de la Bretagne qui se trouve à l’Ouest de la côte Sud de l’Angleterre !
Officiellement, on appelle l’heure d’été de l’acronyme CEST (Central European Summer Time), autrement dit l’heure d’été d’Europe centrale, c’est-à-dire celle de Berlin et l’heure d’hiver WET (Western European Time). En introduisant l’heure d’été pendant toute l’année, on s’alignera sur celle de la capitale germanique sans compter qu’ainsi, on maintient une absurdité sur le plan géographique.
L’heure d’été en saison hivernale à nos latitudes n’apporterait guère l’avantage d’une soirée claire plus longue. En effet, étant donné l’inclinaison de l’axe de la Terre par rapport au plan de l’écliptique, c’est-à-dire l’orbite apparente du Soleil durant la révolution annuelle de la Terre, les nuits sont plus longues en hiver. Ainsi, par exemple, si on applique l’heure d’été, le 15 novembre, le Soleil se lèvera à 8 h 57 et se couchera à 17 h 56. En fait la « longue soirée » désirée sera plutôt courte. Le 15 décembre, le lever du Soleil sera à 9 h 38 et son coucher à 17 h 37, enfin, le 15 janvier, lever 9 h 39, coucher 18 h 05 [4]
L’introduction de l’heure d’été sera particulièrement désavantageuse en hiver. En effet, la journée éclairée commencera fort tard (entre 9 h et 9 h 40 à peu près) et la période nocturne ne commencera pas bien plus tard (environ entre 17 h 30 et 18 h).
Ce maintien de l’heure d’été aura en outre d’importantes conséquences sociales qu’on ne semble guère prendre en compte. Les premiers atteints sont les paysans qui doivent se lever plus tôt : la traite des vaches est réglée sur l’heure solaire et non sur l’heure conventionnelle des humains. Le maintien de ce décalage durant toute l’année provoquera de nombreux inconvénients. Les écoles commenceront les cours en hiver lorsqu’il fera encore nuit et la première récréation se déroulera dans le noir ou la pénombre ! Et n’oublions pas tous les travailleurs en pauses et ceux qui commencent tôt le matin pour nous rendre des services essentiels : les urgentistes dans les hôpitaux, les infirmières, les pompiers, les policiers, les éboueurs, les cheminots, les chauffeurs de poids lourds, les travailleurs des marchés matinaux et j’en passe. Sur le plan de la santé, cet obligatoire lever nocturne provoquera immanquablement des troubles aussi bien psychologiques que thérapeutiques. Notre « nouveau » monde n’en cause-t-il pas suffisamment ainsi ? Et tout cela pour l’illusion de longues soirées d’hiver à grelotter à la terrasse plutôt qu’à lire et aimer au coin du feu !
En définitive, l’heure d’hiver toute l’année nous apportera plus de lumière que l’heure d’été.
nb: SCE-info: comme rappelé dans le texte le changement d'heure a pour but de réaliser des économiques d'énergie. A y regarder de près ces économies sont ridicules, voire nulles (ici, ici et ici).
NOTES
[1] Le changement d’heure a été introduit en URSS le 1er avril 1981. L’heure d’été débute le 1er avril et se termine le 1er octobre de chaque année, jusqu’en 1984, date à laquelle l’URSS adopte les règles de changement d’heure européennes, passant à l’heure d’été à 02:00 le dernier dimanche de mars en avançant d’une heure et revenant à l’heure d’hiver à 03:00 le dernier dimanche d’octobre (de septembre, jusqu’en 1995).
L’usage du changement d’heure a perduré après l’effondrement de l’Union soviétique mais fut officiellement abandonné par décision du président de la Fédération de Russie Dmitri Medvedev en février 2011. Moscou est donc resté quelques années à l’heure d’été de manière fixe avec un décalage UTC+4.
En juillet 2014, Vladimir Poutine a signé le passage définitif à l’heure d’hiver. Le 26 octobre 2014, l’heure russe a été reculée d’une heure, et le changement d’heure ne s’effectue plus. Le nombre de fuseaux horaires passe de 9 à 11.
[2] À partir du 30 octobre 2016, la Turquie vit à l’heure d’été… toute l’année. Fini le réglage des montres et des pendules deux fois par an, dorénavant on ne touche plus aux aiguilles. Adoubée en conseil des ministres, la décision a fait l’objet d’un arrêté publié le 8 septembre au Journal officiel. Il y a des raisons religieuses à l’adoption de cette mesure : l’heure d’été en Turquie est à l’unisson avec l’heure des Etats du Golfe et de l’Arabie saoudite. Les théologiens en rêvaient depuis longtemps. Désormais, les prières, les grandes fêtes religieuses, le lancement et la fin du ramadan auront lieu en même temps qu’à La Mecque et à Médine. Les nationalistes laïques, partisans de la grande Eurasie, eux, auraient voulu une union horaire avec la Russie.
[3] L’heure moyenne de Greenwich, en anglais Greenwich Mean Time, abrégé en GMT, est l’heure solaire moyenne au méridien de Greenwich, méridien d’origine des longitudes, traversant l’Observatoire royal de Greenwich, près de Londres.
L’heure moyenne de Greenwich a servi de référence temporelle dans le monde pendant la majeure partie du xxe siècle, avant d’être remplacée par le Temps universel coordonné (UTC) en 1972.
Par abus de langage, GMT est souvent employé comme synonyme du fuseau horaire UTC+0, également appelé Western European Time. Les deux mesures de temps, quoique proches, ne coïncident cependant pas, puisque GMT est établi sur la rotation terrestre et UTC sur le temps atomique international.
Elle correspond à l’heure d’hiver en Angleterre :
- à 15 h GMT en hiver, il est 15 h à Londres et 16 h à Paris ;
- à 15 h GMT en été, il est 16 h à Londres et 17 h à Paris.
[4] Annuaire de l’Observatoire royal de Belgique 2019.