Des coraux qui s’adaptent aux températures plus élevées

par Prof. Dr. Paul Berth

 Selon certaines prédictions, basées sur des modèles informatiques, de nombreux récifs coralliens auront disparu des océans tropicaux au cours des 80 prochaines années[1]. La cause est bien évidemment le réchauffement climatique pouvant provoquer un blanchiment des coraux. Par exemple, en 2014–2017, a eu lieu un évènement global de blanchiment, le 3e au cours des 20 dernières années, et de nombreux coraux furent affectés sur des milliers de kilomètres carrés[2],[3]. Les médias, avides de catastrophisme, en ont beaucoup parlé avec des titres une fois de plus très alarmistes (exemple ici).

Cependant, les choses ne sont pas si simples. Des données satellitaires et des études de terrain ont montré que tous les récifs coralliens ne se comportent pas de la même manière: de nombreux récifs n’ont pas blanchi pendant le dernier épisode El Niño, une très grande partie des coraux a résisté au stress thermique, et de fortes variations locales et régionales ont été observées dans le blanchiment[4]. La relation entre température élevée de l’eau de mer et blanchiment des coraux n’est donc pas évidente. Afin d’éclaircir la situation une équipe américaine a récemment publié une analyse globale des évènements de stress thermique en considérant 3351 sites différents dans 81 pays (Sully et al. 2019, dans Nature Communications[5]). Cette analyse globale est unique et démontre que les coraux sont en train de s’adapter par sélection naturelle et sont désormais un peu plus résistants au blanchiment. Nous avons ici une belle démonstration du fait que les modèles informatiques sont parfois bien loin de la réalité de terrain et qu’il ne faut pas tirer de  conclusions toujours hâtives!

1. Moins de blanchiment dans les régions équatoriales

L’étude de Sully al. 2019, dans Nature Communications commence par nous montrer que le nombre de coraux blanchis est significativement plus élevé aux latitudes tropicales, entre 15 et 20° au nord et au sud de l’équateur, par rapport aux régions équatoriales où le blanchiment est moins fréquent et où la diversité des coraux y est plus importante. Voir Figure 1.

Figure 1. Prévalence de blanchiment par latitude. Bleu, pas de blanchiment, pourpre, léger blanchiment (1-10% blanchis), orange blanchiment modéré (10-50% blanchis), jaune, blanchiment sévère (>50% blanchis) (Sully et al. 2019).

Selon les données librement accessibles de la base de données CoRTAD Version 6 de la NOAA[6], la température de surface de l’eau de mer n’a pas augmenté plus sous les tropiques par rapport aux zones équatoriales. Les anomalies de température ne peuvent donc pas être utilisées pour expliquer la différence de blanchiment entre zone équatoriale et tropiques. Ce résultat est contredit par certaines études[7], mais ces études contradictoires ne considèrent que quelques sites contrairement à l’étude de Sully et al. (2019) qui en comporte 3351…

Pour expliquer cette répartition particulière du blanchiment des coraux, Sully et al. (2019)  invoquent trois phénomènes. Il se pourrait (1) que la composition des communautés de coraux ne soit pas la même dans les deux zones géographiques (espèces différentes); il se pourrait également (2) que les espèces soient les mêmes mais que la diversité génotypique soit plus élevée dans les régions équatoriales moins sensibles au blanchiment; et enfin (3), il se pourrait que les coraux des zones équatoriales soient pré-adaptés aux stress thermiques en raison des eaux plus chaudes de ces régions (Figure 2). Bien entendu, ces hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives.

Figure 2. Température de surface de l’eau de mer (en °C) de part et d’autre de l’équateur. Le trait épais est la médiane, les boîtes figurent la gamme interquartile (25 à 75%), les traits en pointillés englobent 95% des données, les cercles sont les valeurs en dehors des 95% (Sully et al. 2019).

2. Des variations fréquentes de température protègent les coraux du blanchiment

Les analyses de l’équipe de Sully et al. (2019) révèlent ensuite que le nombre de coraux blanchis est significativement plus bas aux sites où les anomalies de température de surface de l’eau de mer étaient très variables en fonction du temps, pour des périodes courtes de l’ordre de la semaine. En d’autres termes, des variations fréquentes de température semblent protéger les coraux du blanchiment. Ceci avait déjà été observé dans de précédentes études locales : lorsque la température de l’eau de mer est peu variable, sur une période de temps de l’ordre de la semaine, le blanchiment est plus fréquent. A contrario, lorsque la température de l’eau de mer est très variable le risque de blanchiment est réduit[8]. Il a également été démontré dans d’autres études que les sites présentant de grandes variations de températures (quotidiennes, hebdomadaires ou saisonnières) comportent des coraux et des souches de zooxanthelles symbiotiques beaucoup plus résistantes aux extrêmes de température[9].

3. Des coraux adaptés qui blanchissent à plus haute température

Globalement, pour l’équipe de Sully et al. (2019) le phénomène de blanchissement des coraux a légèrement augmenté en fréquence et en intensité entre 2002 et 2017 : de 9% on est passé à 15% de coraux blanchis, et ce pour les 3351 sites considérés. Ceci peut paraître alarmant, mais le devient beaucoup moins lorsque l’on sait que les coraux blanchissent depuis très longtemps. L’avenir nous dira si le pourcentage se stabilisera ou non.

Il ne faut pas oublier non plus qu’il n’y a pas que la température élevée qui fait blanchir les coraux. Lumière trop intense, attaques virales et bactériennes sont également des causes de blanchiment. Et il faut également savoir que le blanchiment est une cause mineure de mortalité chez les coraux. En effet, il a été montré que les coraux durs sont bien plus affectés par les tempêtes et les attaques d’Acanthaster planci, une étoile de mer se nourrissant de coraux (plus de détails et références ici).

Mais le résultat le plus spectaculaire de l’équipe de Sully est qu’entre 1998 et 2006 la température moyenne de l’eau de mer de surface pendant le blanchissement était 28.1°C, alors qu’au cours des 10 années suivantes, entre 2007 et 2017, la température pendant le blanchissement était de 0.6°C plus élevée, c’est-à-dire 28.7°C. Et cette variation de température est significative selon les tests statistiques utilisés (Figure 3).

Figure 3. Distributions de densité de probabilité pour le blanchiment du corail entre 1998 et 2006 (bleu), et entre 2007 et 2017 (orange). Les lignes bleues et rouges montrent les meilleures distributions de Weibull calculées avec les données. La variation de température de blanchiment est significativement différente (Likelihood ratio test, Pr(>χ2) =0.001) entre les deux décennies.

Ces données suggèrent donc que les évènement de blanchiment de la première décennie considérée (1998–2006) ont éliminé les individus les plus sensibles. Il en résulte que les populations de la deuxième décennie (2007–2017) sont maintenant adaptées et blanchissent à une température plus élevée. Il y a donc eu un phénomène de blanchiment adaptatif, comme expliqué dans un précédent article publié sur SCE.

Finalement le graphique montre que cette adaptation s’avère extrêmement rapide, pas plus de 10 ans.

4. Conclusions
  • L’analyse globale nous montre que le blanchiment est plus faible aux régions équatoriales par rapport aux régions tropicales. Et ceci n’est pas causé par des différences d’anomalies de température. La génétique (composition spécifique, diversité génotypique) joue ici un rôle probablement important.
  • Les variations fréquentes de température de l’eau de mer (échelle de la semaine) protègent les coraux du blanchiment.
  • Le phénomène de blanchiment des coraux a légèrement augmenté en fréquence et en intensité entre 1998 et 2017.
  • De nombreux coraux se sont rapidement adaptés et blanchissent actuellement à une températures plus élevée (de 0,6°C). Il y a donc eu blanchiment adaptatif de nombreuses communautés.

En conclusion finale, la nature nous réserve bien des surprises et il ne faut pas trop se fier aux modèles informatiques souvent alarmistes. Les coraux durs (ou Scléractiniaires) apparaissent au Trias moyen il y a 240 millions d’années et les premiers récifs coralliens ‘modernes’ ou semblables à ceux d’aujourd’hui étaient présents 25 millions d’années plus tard, au Trias supérieur, probablement suite à l’apparition d’une symbiose avec des algues symbiotiques. Cela ne voudrait-il pas dire que ces organismes sont particulièrement résistants aux changements globaux? En effet, le groupe n’a pas été éliminé au cours des nombreuses périodes de l’histoire où il faisait plus chaud ou plus froid de plusieurs degrés qu’aujourd’hui, et où la concentration en CO2 de l’atmosphère était plus  élevée ou plus faible qu’aujourd’hui. Plus de détails ici.

Les « alarmistes du climat » qui pensent que le changement climatique actuel est trop rapide par rapport aux évènements du passé doivent se remémorer que les coraux (également bien d’autres organismes) ont également résisté à la chute d’un astéroide à la limite Crétacé-Tertiaire il y a 65 millions d’années[10]. Il n’y a pas plus rapide pour bouleverser le climat! Ceci dit, n’oublions pas les autres causes du déclin des coraux (pollution de l’eau, surpêche, etc.).

Références

[1] Frieler, K. et al (2013) Limiting global warming to 2 °C is unlikely to save most coral reefs. Nat. Clim. Change 3, 165–170.

[2] Stuart-Smith, R. D. et al (2018) Ecosystem restructuring along the Great Barrier Reef following mass coral bleaching. Nature 560, 92–96.

[3] Hughes, T. P. et al (2017) Global warming and recurrent mass bleaching of corals. Nature 543, 373–377.

[4] van Woesik, R. et al (2012) Climate-change refugia in the sheltered bays of Palau: analogs of future reefs. Ecol. Evol. 2, 2474–2484.

McClanahan, T. R. & Maina, J. (2003) Response of coral assemblages to the interaction between natural temperature variation and rare warm-water events. Ecosystems 6, 551–563.

McClanahan, T. R. et al. (2007) Effects of climate and seawater temperature variation on coral bleaching and mortality. Ecol. Monogr. 77, 503–525.

Safaie, A. et al. (2018) High frequency temperature variability reduces the risk of coral bleaching. Nat. Commun. 9, 1671.

[5] S. Sully, D.E. Burkepile, M.K. Donovan, G. Hodgson, R. van Woesik. A global analysis of coral bleaching over the past two decades. Nature Communications (2019) 10:1264.

[6] The Coral Reef Temperature Anomaly Database (CoRTAD) Version 6 – Global, 4 km Climatological SST, generated using harmonic analysis method on data, for 1982 to 2017 (NCEI Accession 0175481).

[7] Heron, S. F. et al. (2016) Validation of reef-scale thermal stress satellite products for coral bleaching monitoring. Remote Sens. 8, 59.

[8] McClanahan, T. R. & Maina, J. (2003) op. cit.; McClanahan, T. R. et al. (2007) op.cit.; Safaie, A. et al. (2018) op.cit.

[9] LaJeunesse, T. C. et al. (2010) Host–symbiont recombination versus natural selection in the response of coral–dinoflagellate symbioses to environmental disturbance. Proc. Biol. Sci. 277, 2925–2934.

[10] Bottke WF, Vokrouhlicky D, Nesvorny D (2007) An asteroid breakup 160 Myr ago as the probable source of the K/T impactor. Nature 449:23–25.

 

Une réflexion sur « Des coraux qui s’adaptent aux températures plus élevées »

  1. Il parait à peine curieux que certains milieux alarmistes se focalisent jusqu’à l’excès  sur les « effets de température de surface » qui semblerait entraîner ce blanchiment géo-localisé. Spécialistes ? Eux n’osant trop se pencher davantage sur bien d’autres forces antagonistes auxquelles se trouvent confrontées les espèces corallienes pour leur survie à long terme…

    Le descriptif canadien suivant entraîne lui-même quelques interrogations quant aux chiffres de nos alarmistes :
    http://www2.ggl.ulaval.ca/personnel/bourque/s3/corail.html.
    Site dont un seul extrait interpellera les esprits peu avertis (quand bien même l’auteur fait référence à des dangers, en 1997) : « Les coraux à symbiotes algaires sont intolérants, en ce sens qu’ils ne prolifèrent que dans des fourchettes de TEMPERATURE, de salinité et de profondeur bien déterminées : entre 18 ° et 36 °C (optimum 25-29 °) pour la température, entre 27‰ et 40‰ (optimum 36‰) pour la salinité, et à moins de 70 mètres de profondeur (optimum de 0 à 20 m). »
    Ceci mis en évidence par la Fig. 2 reprise par le professeur Berth !

    Nous savons par ailleurs que la T° moyenne océanique est essentiellement variable sur 100-200 mètres, là la thermocline y baisse fort ; Elle se trouve soumise à des courants pas toujours documentés sur le cas qui nous occupe. Bien au-delà, elle reste sujette à de puissants courants au niveau du glacis continental (2000-3000m).
    Qu’en expliquent alors nos chers alarmistes, eux préférant se cantonner au niveau de quelques récifs sous un stress local ?

    D’étranges contrastes sont décelés avec leurs espèces vivant très profondément. Lire à ce propos le site journalistique « à tout nous révéler » sur l’une des explorations menées par la NOAA : https://www.maxisciences.com/corail/des-chercheurs-decouvrent-un-jardin-de-corail-cache-dans-les-profondeurs-de-l-ocean_art40847.html (avec courte video 49 sec.)

    Si l’on s’intéresse aux phénomènes de vie dans les grandes profondeurs marines, on ressort fasciné par les révélations des abysses explorées depuis bientôt 60 ans grâce à divers engins sophistiqués. L’enthousiasme est au rendez-vous pour les chercheurs qui nous rapportent leurs découvertes toujours emplies d’inexpliqué !
    Restons ainsi en recherche d’exactes causalité(s) et de facultés d’adaptation des espèces invoquées ?
    ………………………………………………….
    J’ajoute, en une vulgarisation façon WIKIP… dont ici de courts extraits :
    [[ Le corail ne forme les célèbres récifs et atolls « que dans les mers chaudes » (entre les parallèles 30° nord et 30° sud, dans des eaux ne descendant jamais au-dessous de 20°C).
    Cependant, certaines mers froides (large de la Scandinavie, de la Grande-Bretagne et de la péninsule Ibérique) hébergent aussi des récifs coralliens, qui sont des récifs dits « d’eau froide », profonds, à corail non photosynthétique et à développement extrêmement lent.

    On trouve donc des récifs de coraux dans une grande variété d’habitats, des régions tropicales à la Mer du Nord, dans les mers chaudes d’Asie ou froides comme la Grande-Bretagne, de 0 à 4.000 mètres de profondeur, mais seuls les coraux « tropicaux » forment de grandes barrières et récifs à faible profondeur. ]]
    ………………………………………………….
    Nous ne serons jamais à l’abri d’invocation « dégradation-disparition, probablement en raison du changement climatique, de la pollution et de la surpêche », dont WWF et d’autres sites opportunistes y connaissent leur propre prolifération. Le journalisme de vulgarisation (dite scientifique) n’échappe pas ici à ces tentations d’analyses relativement étroites.
    https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&lei=Uxj0XLPDF5DTwAKAwL_oBg&q=les%20coraux%20en%20danger&ved=2ahUKEwjVg4DCucviAhVGbVAKHXsLCBgQsKwBKAN6BAgBEAQ&biw=1767&bih=1203
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