Alain Préat, Professeur émérite de l’Université Libre de Bruxelles
Albert Jacobs, retired geologist, Calgary, Canada
En cas de citation prière de mentionner A. Préat et A. Jacobs « Evénements hyperthermiques du Tertiaire : précurseurs de la situation actuelle? » http://www.science-climat-energie.be/wp-admin/post.php?post=4127&action=edit
0/ English Version Tertiary hyperthermal events : precursors of today?
1/ Introduction
Le but de cet article est de montrer combien la climatologie (actuelle et celle du passé) est complexe et que’ la science est loin d’être dite’. Pour ce qui est de la climatologie actuelle de très nombreux articles existent, dont une partie sur SCE. Pour la climatologie du passé les exemples géologiques ne manquent pas (également quelques articles généraux sur SCE, ici). Le propos de cet article est basé sur une analyse détaillée des événements hyperthermiques de la limite Paléocène/Eocène il y a 56 Ma et de l’Eocène inférieur (pour l’intervalle 54-52 Ma, Figure 1). Cet exemple montrera que la Terre a connu à de nombreuses reprises des températures bien plus élevées que celles d’aujourd’hui, avec des océans plus chauds, parfois plus acides et une atmosphère beaucoup plus riche en CO2 (ou en CH4) que l’actuelle. Cela n’a jamais empêché la vie de se développer, et ‘ironie du sort’ c’est au cours d’un de ces événements hyperthermiques du Tertiaire (ou PETM, voir plus loin), qui fut l’un des plus chauds qu’ait connu la Terre, que les mammifères ont poursuivi une radiation évolutive (= diversification des espèces) sans précédent entamée après l’extinction des dinosaures à la limite Crétacé/Tertiaire [1, 2].
2/ Le Tertiaire ou Cénozoïque (Figure 1 )
La Terre a connu une série d’événements soudains et abrupts (= ‘événements hyperthermiques’) de réchauffement global à la transition Paléocène/Eocène (càd au Paléogène inférieur, Figure 1) se superposant à une tendance chaude amorcée au Mésozoïque. Le premier et le plus marqué de ces événements s’est déroulé il y a ~56 Ma (à la transition Paléocène/Eocène [3]), il est connu sous le sigle PETM (pour Paleocene-Eocene Thermal Maximum) et est marqué par une augmentation de la température globale de plusieurs degrés (voir-ci-dessous) en quelques milliers d’années. Cet événement majeur est enregistré dans les séries géologiques de cet intervalle stratigraphique par un pic de > 3‰ du δ13C traduisant une injection massive de carbone 12 (12C) dans l’océan et dans l’atmosphère avec une acidification de l’océan profond de 0,3-0,4 unités de pH. Le caractère abrupt de l’événement PETM ne fait aucun doute car le pic de plus de 3‰ apparaît sans valeurs intermédiaires dans les séries du Paléocène inférieur. Par contre comme nous le verrons plus loin la délimitation temporelle sensu stricto de l’événement est loin d’être acquise, principalement suite à la qualité de l’enregistrement stratigraphique et aux difficultés de corrélations des coupes ou sections géologiques étudiées. Ces difficultés sont inhérentes à tout enregistrement temporel en géologie et vouloir à tout prix une résolution à l’échelle de quelques années est illusoire dans le cas qui nous occupe.
Figure 1 : Extrait de l’échelle internationale des temps géologiques (2018)
A droite (sur la partie gauche) les âges absolus en millions d’années ou ‘Ma’ (radiométrie), les clous jaunes (= ‘clous d’or’) représentent des coupes ou sections-types (= ‘stratotypes ) de référence mondiale pour la définition des étages géologiques (colonne Stage/Age). Ne pas confondre Paléogène (Système/Période) et Paléocène (Série/Epoque) = formalisme et convention internationale en stratigraphie. A droite succession stratigraphique et âge des six événements hyperthermiques suivant la nomenclature PETM-EECO et données principales les concernant (température, glace et organismes). PETM = Paleocene Eocene Thermal Event, EECO = Early Eocene Climatic Optimum (voir texte).
Le Paléogène inférieur (Figure 1) est caractérisé par un système climatique dynamique opérant à la fois sur le long terme (> 106 années) et le court terme (< 104 années). Une période chaude de long terme fut ainsi présente de ~58 Ma (Paléocène supérieur) à ~50 Ma (Eocène inférieur), elle est connue sous le sigle ‘EECO’ (pour Early Eocene Climatic Optimum avec six événements hyperthermiques de 54,2 à 52,8 Ma, voir ci-dessous). La température globale fut pendant 2 millions d’années la plus élevée du Cénozoïque (de 5 à 8 °C par rapport à l’actuelle, et jusqu’à 10°C suivant certains auteurs, voir ci-dessous), soit la plus élevée au cours des 66 derniers millions d’années, et même pendant plus longtemps (~100 Ma) si l’on remonte au Crétacé (Mésozoïque)[4]. Les sédiments marins et continentaux de cette période ont été étudiés à partir de forages océaniques et de nombreuses coupes réparties à l’échelle du globe. Les analyses ont montré que des changements environnementaux et paléontologiques majeurs ont eu lieu et, ont par exemple conduit à une crise biologique (sur environ 1000 ans) avec une extinction partielle des foraminifères benthiques alors que les foraminifères planctoniques se diversifient, à une expansion des dinoflagellés subtropicaux et d’autres groupes en domaine marin …, à une extinction de certains groupes de mammifères, suivie par une diversification de nombreux mammifères modernes d’Europe et d’Amérique du Nord en domaine continental, avec en particulier l’apparition de nouveaux ordres (Artiodactyla, Perissodactyla et Primates) [5]. Ainsi une crise biologique n’est pas nécessairement synonyme ‘d’extinction catastrophique’, bien loin de là. Les crises, qui sont monnaie courante dans l’histoire géologique, sont un des éléments participant à l’Evolution. Elles n’ont jamais arrêté les processus de vie qui se sont déroulés sans interruption sur plusieurs milliards d’années avec par exemple le passage des procaryotes aux eucaryotes [6]. La distribution des continents et la circulation océanique étaient aussi différentes et il n’y avait pas de calottes glaciaires en ce début de Tertiaire limitant ainsi l’albédo.
L’Antarctique libre de glace était couvert par la forêt et la toundra, favorable au piégeage de carbone dans les sols et sédiments [7]. Une situation assez différente de l’actuelle caractérisée par l’englacement des pôles et régions voisines.
3/ Le problème ?
Les séries géologiques montrent clairement que le changement climatique s’est toujours produit au cours du temps (ici). De (très) nombreux épisodes chauds et froids se sont en effet succédés suivant diverses fréquences avec d’importantes fluctuations de température, les épisodes les plus froids pouvant mener à des glaciations (déjà présentes au Précambrien) et les plus chauds conduisant aux événements hyperthermiques très bien documentés au Cénozoïque, mais également présents au cours des autres ères géologiques [8, 9]. Cet article se concentrant sur les événements hyperthermiques du Cénozoïque (ici Paléocène/Eocène) va tenter de déterminer qui de ‘l’œuf ou de la poule’ est le premier, et dans notre cas, qui de la température ou du carbone (sous forme de CH4 ou/et de CO2) vient en premier, auquel cas celui qui arrive en second ne peut en aucun cas être la cause du premier, une cause devant nécessairement précéder un effet. Il convient de souligner ici que la précédence n’est pas une preuve de causalité. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. En effet, les deux phénomènes pourraient être l’effet d’une cause commune, agissant selon deux mécanismes différents et ayant des constantes de temps différentes. Pourquoi juste ces deux paramètres ? Simplement parce que les événements hyperthermiques repérés dans les séries géologiques de tous âges montrent à l’évidence l’importance de ces deux paramètres [9].
En effet, que montrent ces événements hyperthermiques? Ils montrent presque toujours une augmentation de température significative bien documentée par de nombreux ‘proxies’ ou indicateurs, par exemple les isotopes de l’oxygène, les isotopes du strontium, la minéralogie des argiles, les microfossiles, etc., et une augmentation ou des teneurs plus élevées en CH4 et/ou de CO2 (également bien documentées par de nombreux ‘proxies’, isotopes du carbone, isotopes du bore, alcénones, matière organique, paléosols…) dans l’océan et/ou l’atmosphère [9].
La géologie nous montre donc non seulement que la température fut souvent bien plus élevée sur la Terre que celle d’aujourd’hui, mais également que la teneur en CO2 dans l’atmosphère fut plus élevée, le plus souvent de plus de 5 (Mésozoïque) à 25 (Paléozoïque) fois l’actuelle, voire 100 à 1000 fois plus élevée au Précambrien (ici et ici). Pour les tenants de l’hypothèse de l’effet de serre, la conclusion est évidente, ce sont les gaz CH4 et/ou CO2(également N2O ?) qui ont provoqué les réchauffements du passé. Comment en être sûr ? Là est toute la question, et nous allons voir ici que grâce à des résolutions temporelles magnéto- et bio-stratigraphiques assez précises couplées à une cyclostratigraphie liée au forçage orbital de la Terre, c’est l’inverse qui s’est produit, à savoir que le CO2 suit l’augmentation de la température. Cet article ne prétend pas tout résoudre, loin de là, mais il est fidèle à la conviction ou pensée de SCE que la science (climatique) n’est pas dite (« the science is not settled »). En fait la science n’est jamais dite, quel que soit le niveau de consensus obtenu autour d’une hypothèse. Comme Einstein le faisait remarquer, un seul résultat expérimental peut suffire à rejeter cette hypothèse, si l’on s’en tient rigoureusement à l’application de la méthode scientifique. Ou encore pour paraphraser Popper « il n’est jamais possible de prouver qu’une hypothèse est vraie ; elle n’est valable que jusqu’à preuve expérimentale du contraire ».
4/ L’intervalle EECO
L’analyse détaillée de l’intervalle chaud de l’EECO (Early Eocene Climatic Optimum) montre qu’il est jalonné de plusieurs périodes de fluctuations de températures de court terme, menant à des événements climatiques hyperthermiques. Six périodes, s’étendant de 54,2 à 52,8 Ma, sont bien documentées principalement sur base de l’évolution des compositions isotopiques du carbone (δ13C) et de l’oxygène (δ18O) des roches carbonatées échantillonnées à la fois dans les forages océaniques et sur les sections à terre.
Ces périodes ou événements climatiques hyperthermiques sont aujourd’hui bien caractérisés et nommés [10,11, 12, 13], ils se rencontrent à 54,15 Ma (= ETM2 ou H1 pour ‘Elmo Event’); à 54,0 Ma (= H2); à 53,65 Ma (I1); à 53,55 Ma (I2); à 53,15 Ma (J) et à 52,80 Ma (appelé K, X ou ETM3) (Figure 2). La succession des événements est bien connue mais les âges ‘absolus’ diffèrent suivant les auteurs. La précision est de 0,02 Ma pour les événements ETM1 et ETM2 [13,14]. L’étude isotopique du carbone et de l’oxygène montre que ces périodes correspondent à des épisodes hyperthermiques avec des augmentations de température des eaux profondes jusqu’à 2°C, et ~1,5° à ~2 °C dans l’atmosphère [13]. Une analyse spectrale détaillée à partir de la stratigraphie des séries a montré que ces épisodes sont en phase avec les cycles d’excentricité de l’orbite terrestre de 405 ka et de ~100 ka [10, 14]. La datation absolue des séries est obtenue à partir de radiométrie absolue (méthode 40Ar/39Ar) sur des cendres volcaniques interstratifiées dans l’Atlantique Nord [15].
Figure 2 : Compositions isotopiques du carbone (δ13C) et de l’oxygène (δ18O) de foraminifères benthiques (N. truempyi) à partir de deux forages océaniques (Site 1263 et Site 1262) en regard des âges absolus. D’après Lauretano et al. (2015) [13].
5/ L’événement PETM
Ces six événements hyperthermiques de l’EECO sont précédés d’un événement encore plus chaud, à savoir l’événement PETM (Paleocene Eocene Thermal Event, également appelé ETM1 à ~56, Figure 3 et ici). Il fut en effet le plus chaud du Tertiaire (ou Cénozoïque), et même au-delà, au moins depuis 100 millions d’années (Crétacé, Mésozoïque) et dura un peu moins de 220 000 ans ou 170 000 suivant les différents auteurs. La température globale augmenta de 5° aux tropiques et de 8 à 10°C aux hautes latitudes (déduit des δ18O et des rapports Mg/Ca des foraminifères benthiques et planctoniques ([13], voir également [4]), et des quantités massives de carbone furent émises, et estimées entre ~3000 PgC (‘P’ = Peta pour 1015) et plus de 10 000 PgC [16 ,17, 18, 19], soit de même ordre de grandeur que les réserves actuelles de carbone fossile [20 , 21]. Ces émissions de carbone dans le système océan-atmosphère furent enregistrées sous forme d’un pic (ou ‘excursion’) négatif de > 3‰ du δ13C (Figure 3) et sont à l’origine d’une dissolution partielle des sédiments carbonatés déposés sur les fonds marins. Cet événement fut lié aux cycles court et long d’excentricité (cf. ci-dessus).
Figure 3 : Compositions isotopiques du carbone de l’oxygène (a) et du carbone (b) des foraminifères au cours du Tertiaire. Les graphiques montrent la forte excursion négative du δ13C culminant à l’Eocène inférieur (événement PETM ou -ETM1). La partie (c) du graphique montre la position des événements ETM2 et ETM3 sur la courbe figurée en (a). Egalement se reporter à la Figure 2. Les Optima Climatiques de l’Eocène moyen et du Miocène moyen sont également mentionnés dans le graphique (a), mais pas discutés ici. D’après DeConto et al. (2012) [7].
La fourchette d’estimation de la quantité de carbone est large car elle dépend des hypothèses sur l’origine du carbone émis et des modèles utilisés. Les sources possibles de carbone sont nombreuses et bien documentées dans la littérature consacrée à l’événement PETM [par ex. 9]: méthane biogénique (clathrates ou ‘hydrates de méthane’), méthane thermogénique, carbone provenant du permafrost, carbone lié au feux ou incendies avec combustion des tourbes et de charbons, carbone provenant d’une comète, carbone lié à la dessiccation et à l’oxydation de la matière organique ou provenant du manteau terrestre, notamment par l’activité volcanique sous forme de CO2. Dans ce dernier cas cette activité serait liée à l’émission de magmas lors de la dérive ou fragmentation continentale de l’Atlantique Nord lors de la mise en place de la Province volcanique Nord-Atlantique (séparation du Groenland et de l’île de Baffin à l’ouest, et de l’Angleterre et des îles Féroé à l’est [22]. Notons que parmi ces sources régulièrement invoquées dans la littérature, celle du permafrost est une des plus citées [7]. Or il semble qu’à cette époque et jusqu’à au moins 48 Ma (sommet de l’Eocène inférieur), il n’y avait pas de permafrost en Antarctique (Figure 4 in [23] (ou alors il était très limité aux très hautes latitudes).
Figure 4 : Evénements thermiques et eustatiques amenant à l’entrée en glaciation (passage du mode greenhouse au mode icehouse) in Zachos et al. , 2008 (Nature 451, 279-283) modifié et complété par Brigitte Van Vliet-Lanoë, 2013 [23]. Le permafrost ou pergélisol antarctique n’est pas documenté au Paléocène et apparaît plus tardivement (dernière colonne grisée à droite). Les Optimas climatiques de l’Eocène moyen et du Miocène moyen ne sont pas discutés ici, ni les variations du niveau marin (ou variations eustatiques, ici régressions).
Chaque source de carbone a une composition particulière en δ13C (comprise entre ~-60‰ pour les clathrates et jusqu’à ~-6‰ pour le manteau terrestre) et l’estimation du pourcentage de chaque source est difficile à établir et est en conséquence approximatif, rendant l’estimation du carbone total émis peu précis. En termes mathématiques on dirait que l’on effectue une moyenne pondérée (par le % de contribution pondérale de chaque source), mais les poids n’étant pas connus avec grande précision, l’estimation de la moyenne pondérée est alors approximative. On retiendra donc seulement l’ordre de grandeur. Par exemple pour DeConto et al. 2012 [7], le carbone provient principalement de la fonte de sols circum-arctiques riches en matière organique et du permafrost antarctique libérant des clathrates, et l’anomalie de > 3 ‰ en δ13C enregistrée durant le PETM correspondrait à une émission de ~2000 PgC, insuffisante suivant ces auteurs pour expliquer le réchauffement. Selon ces auteurs, le réchauffement menant à la libération des clathrates fut initié par un forçage orbital avec conjonction d’une haute excentricité et d’une haute obliquité. Initialement, c’est-à-dire dès 1995, ce sont surtout les clathrates qui ont été invoqués pour expliquer le pic négatif du δ13C. Bien que cette hypothèse ait rapidement été mise en doute [24], de nombreuses études ont ensuite confirmé leur rôle majeur, mais ont aussi montré que les autres sources avaient un rôle, secondaire pour certains auteurs ou au contraire important pour d’autres. En effet, les contributions de chaque source ne sont pas encore bien établies et la situation sur ce sujet n’est pas encore claire aujourd’hui. De même pour la teneur en CO2 de l’atmosphère au cours du PETM, environ 900 ppm dans des simulations [7], jusqu’à 2200 ppm au moment du pic à partir d’une teneur de 800 ppm en situation de pré-pic [25]. Notons que la plupart des études s’accordent sur une teneur pré-pic supérieure à l’actuelle (souvent plus du double). Ces teneurs n’ont rien d’exceptionnel dans les séries géologiques, plusieurs événements hyperthermiques présentaient des teneurs plus élevées jusqu’à 4000 ppm (fin du Trias) et 7000 ppm (à la transition Permien/Trias) [25] durant des périodes 7 à 30 fois plus longues que celle du PETM. Pour Gutjhar et al. 2017 [19], la source majeure du carbone n’est pas liée au permafrost (non démontré, comme mentionné ci-dessus, cf. Figure 4) mais provient de carbone isotopiquement plus ‘lourd’ associé au CO2 volcanique émis lors de la mise en place de la Province volcanique Nord-Atlantique. De même, pour Frieling et al. 2016 [26] la source majeure de carbone proviendrait du méthane hydrothermal ou thermogénique ( =résultant du métamorphisme de contact) lié à l’intrusion de sills basaltiques [27] mis en place dans les roches riches en matière organique des bassins de Vöring et de Möre en Mer de Norvège. Plus de 700 sources hydrothermales ont été mises en évidence dans ces bassins. On voit donc que l’identification de la source, ou de la contribution de chacune des sources évoquées (et aussi de la quantité) du carbone émis lors de l’événement est encore très incertaine.
L’excursion négative (ou pic négatif) du δ13C fut donc abrupte et apparut en 20 000 ans ou moins (basé sur le flux cosmogénique de 3He [28]) qui représente la période durant laquelle le carbone (CH4 ou/et de CO2) fut introduit dans l’atmosphère. L’analyse détaillée de l’évolution isotopique du carbone (δ13C) dans cet intervalle suggère que les gaz furent émis massivement lors de deux pulsations de durées inférieures à 2000 ans (voir ci-dessous) à raison de 1 à 2 PgC/an à comparer avec les 3,8 PgC/an émis de 1870 à 2014 (www.co2.earth in [25]). Selon Cui et al. 2011 [16] l’émission de carbone fut plus faible (de 0,3 à 1,7 PgC/an) durant la maximum thermique du PETM. Les données géologiques sont à prendre avec précaution car les valeurs affichées dépendent de la durée d’émission et du nombre de périodes d’émission du carbone au cours de l’intervalle PETM (Figure 5). Le ou les pics d’émissions de CO2 auraient été suivis 10 000 à 20 000 ans après l’intervalle PETM sensu stricto par une nouvelle période d’émission de CO2 liée à l’oxydation de carbone fossile remobilisé par une période active d’érosion (liée au réchauffement du PETM). Une quantité de 100 à 10 000 PgC aurait ainsi été émise [29], ce qui correspond plus ou moins à ce qui a été émis au cours du PETM. Cette émission ‘secondaire montre à quel point il est difficile d’établir avec précision la durée du pic PETM sensu stricto comme le suggère la Figure 5, et d’établir avec certitude les émissions de carbone sur une base annuelle.
Figure 5 . Graphique illustrant la difficulté de définir précisément la durée de l’intervalle PETM (t onset) et de l’identification précise du pic négatif du δ13C à partir de la période pré-pic. Aujourd’hui il est difficile de déterminer ‘géologiquement’ si le déclin du δ13C s’est effectué en plusieurs étapes ou non. D’après Turner (2018) [30]. Les carrés bleus et ronds rouges sont symboliques, ils illustrent le fait que suivant le ‘zoom temporel’ dont on dispose (et qui dépend de l’échantillonnage adéquat surtout lié aux discontinuités sédimentaires), plusieurs (ici deux) versions d’une anomalie sont possibles. En géologie, on a souvent plus de deux versions possibles en l’état actuel de nos connaissances stratigraphiques.
Les données fournies par l’analyse de 3He suggèrent que le réchauffement a précédé de 3000 ans le pic négatif du δ13C et donc l’émission du carbone dans l’atmosphère [31]. La cause du réchauffement à l’origine de l’émission des clathrates est inconnue pour ces auteurs.
6/ Les causes à l’origine des événements hyperthermiques
De nombreuses causes sont envisagées et le débat est toujours ouvert. Cela n’a rien d’étonnant pour des séries anciennes, il suffit de se reporter sur les nombreuses variations climatiques du Quaternaire et même à la situation actuelle pour mesurer la complexité du problème. Parmi les très nombreuses causes invoquées et bien documentées, retenons surtout la mise en place des magmas en Atlantique Nord avec une intense activité volcanique, un impact lié à une comète, la combustion de tourbe et de charbon, le forçage astrophysique avec augmentation de l’insolation aux hautes latitudes, l’émission de clathrates à partir de permafrosts et de sols, la modification de la circulation thermohaline … à l’origine de l’émission des ‘gaz à effet de serre’, toutes causes qui sont fréquemment invoquées, puisqu’elles sont toutes compatibles avec l’anomalie du δ13C. Les hydrates de gaz sous-marins peuvent aussi être relargués par un réchauffement lié à la proto-circulation thermohaline, spécialement le long des marges atlantiques au Paléocène supérieur, leur accumulation antérieure ayant été caractéristique du refroidissement de la masse océanique depuis le Crétacé terminal (Maastrichtien in [23], voir également Figure 1). A l’époque l’océan arctique n’est pas encore ouvert.
On est cependant confronté ici à la question de départ de l’œuf et de la poule.
La question de l’EECO et particulièrement du PETM (épisode de réchauffement global le plus extrême) est de grande importance puisque cet intervalle est considéré par presque tous les auteurs comme un analogue potentiel de la situation actuelle [21], même si toutes les conditions initiales ne sont pas du tout les mêmes. Or la chimie de 3He [31] a montré que le réchauffement a précédé l’émission du carbone dans l’atmosphère et l’analyse spectrale (forçage astronomique)à partir des données bio- et magnétostratigraphiques montre l’importance des cycles d’excentricité durant le Paléogène inférieur [32, 33] et leur lien avec les périodes de réchauffement [34].
Pour Lauretano et al. 2015 [13], les six événements hyperthermiques sont approximativement en phase avec les maxima des cycles d’excentricité (405 ka et 100 ka) auxquels se superposent chaque fois les pics négatifs du δ13C. Selon ces auteurs, sur base de l’analyse des δ13C et δ18O, le réchauffement opérant tout au long de l’EECO et l’oxydation progressive de la matière organique qui accompagnent cet événement auraient libéré le CO2 dans le système océan-atmosphère. Ensuite il y aurait eu dissolution de carbonates (= acidification) dans l’océan et amplification du réchauffement de l’atmosphère. Ce dernier processus est presque toujours invoqué dans ces événements hyperthermiques et fait bien entendu appel à l’hypothèse d’injection de gaz à effet de serre sans pour autant que l’augmentation de température soit quantifiée (elle l’est parfois mais très rarement), ni même que l’on envisage le rôle de la vapeur d’eau (elle l’est parfois aussi, mais également très rarement) ou encore d’autres possibilités (voir ci-dessous). Ces gaz auraient amplifié une augmentation initiale de la température par une série de rétroactions positives des milieux géologiques et biologiques jamais discutées dans les articles. Tout comme pour la situation actuelle la démonstration n’y est donc pas (ici). Pour d’autres auteurs et sur base d’une modélisation, le réchauffement initial fut lié à une conjonction de cycles de haute excentricité et de haute obliquité ayant augmenté l’insolation de 85 W/m2[7].
La plupart des auteurs estiment ainsi que ces événements hyperthermiques résultent de la conjonction de facteurs orbitaux ou solaires à l’origine de l’augmentation de température qui aurait alors libéré le carbone des sédiments, des sols et du permafrost [7][25], bien que la présence de ce dernier durant le Paléocène (et même après jusqu’à 48 Ma) soit sujette à discussion (Figure 4 in [23]). Une étude basée sur les isotopes du Nd (néodyme) a montré que les changements de la circulation océanique régionale, à savoir la circulation thermohaline, n’est pas encore fonctionnelle au Paléocène, elle débute vraiment vers 38 Ma, avec les premières traces de glaciers et de banquise au Groenland NE, même en hémisphère nord et surtout avec l’ouverture du Détroit de Fram qui relie l’océan Arctique et l’Atlantique Nord (ici). Dans ce contexte, le réchauffement climatique, repris par Turner et al. [30], et basé sur la déstabilisation des clathrates et de leur émission de méthane dans l’océan et l’atmosphère doit être considéré avec précaution. Dans leur hypothèse [30], les bulles s’échappant de l’océan ont induit des boucles convectives verticales entraînant les eaux chaudes de surface vers les grandes profondeurs. On voit néanmoins qu’un réchauffement lié au forçage orbital est l’élément déclencheur de l’émission du carbone dans les océans et l’atmosphère. Le forçage orbital est donc l’élément essentiel et premier du changement car aucun des autres processus envisagés (comète, volcanisme, fonte du permafrost ?, circulation thermohaline …) ne peut présenter une telle régularité et répétitivité conduisant aux six événements hyperthermiques.
Ainsi malgré une abondance exceptionnelle de données (stratigraphie, géochimie), le fin mot du réchauffement du Tertiaire inférieur n’est pas donné ou démontré et ce réchauffement est probablement issu d’un cascade de facteurs juxtaposés. En tous cas, au Tertiaire inférieur, de l’œuf ou de la poule, l’élément premier est le forçage orbital et l’élément second les ‘gaz à effet de serre’. Malgré une résolution temporelle qui semble excellente on est très loin de la situation actuelle (résolution annuelle ou décennale) dont on s’écarte d’un facteur d’au moins 104 (les cycles d’excentricité courts de 100 ka) et les comparaisons presque toutes alarmistes ne sont pas étayées. Malgré à nouveau un grand luxe de détails, des pans entiers du problème nous échappent : quid de la vapeur d’eau ?, des rayons cosmiques ?, du vent solaire ?, de la circulation océanique ?, de l’albédo ? A nouveau l’absence de proxies fiables et une résolution temporelle inadéquate rendent toute comparaison avec la situation actuelle difficile, voire dérisoire.
Comment sort-on d’un événement hyperthermique? L’extrême chaleur liée au réchauffement induit une forte augmentation des précipitations qui accélèrent le cycle de l’altération continentale des silicates pendant quelques milliers ou dizaines de milliers d’années ; ces interactions représentent la période de ‘feedback négatif’ [7]. L’altération des silicates consomment le CO2 (= ‘pompe à CO2’ [35]), et avec l’atténuation du forçage orbital, un refroidissement a lieu qui permet au permafrost de se reconstituer avec reprise du stockage du carbone, si la source de carbone est bien majoritairement liée au permafrost (et à sa fonte). A nouveau cette hypothèse souvent reprise dans le cas qui nous occupe, doit être sérieusement mise en doute suite à l’absence probable de permafrost à cette époque (cf. ci dessus). Pour Gutjahr et al. 2017 [19], c’est l’augmentation du carbone enfoui qui permet à la Terre de retrouver son état initial.
A nouveau, au vu de l’examen de la très grande majorité des publications concernant l’événement PETM, la seule hypothèse retenue est celle des ‘gaz à effet de serre’ qui suivant leur abondance déterminent l’évolution de la température. Notons également, pour être complet, que de nombreuses études consacrées à cet événement montrent que les régions plus sèches le deviennent plus, tandis que les régions plus humides, voient les précipitations augmenter.
Alors que retenir ? Surtout que la Terre a presque toujours connu des températures supérieures, souvent même bien supérieures, à l’actuelle, de même pour les océans qui furent souvent plus chauds que ceux d’aujourd’hui, parfois également plus acides, que le CO2 a presque toujours été plus abondant, et cela significativement jusqu’à 25 fois pour le Phanérozoïque (bien plus encore avant), et que l’essentiel de la climatologie aussi bien actuelle que passée nous échappe dans la succession des événements et des rétroactions, et reste à comprendre (ainsi la science n’est pas dite). Ces conditions de températures et de teneurs en ‘gaz à effet de serre’, n’ont jamais empêché la vie de se développer pleinement en domaines marin et terrestre, elle est d’ailleurs née dans ces conditions, et malgré les événements hyperthermiques la Terre se régule et n’a jamais connu d’océans en ébullition, ni ne s’est jamais durablement transformée en ‘Terre Boule de Neige’ comme à la fin du Protérozoïque [36].
7/ L’alarmisme des médias ?
Ainsi faut-il se méfier des démonstrations simplistes ? Oui comme le montre cet article très récent de 2019 (ici) reflétant de nombreux articles équivalents dans les médias. Cet article annonce sans nuance aucune la catastrophe : ‘Une nouvelle étude montre que l’homme émet 10 fois plus de dioxyde de carbone dans l’atmosphère que les gaz à effet de serre émis lors du réchauffement climatique planétaire qui a eu lieu il y a 56 millions d’années, entraînant l’acidification des océans et l’extinction d’espèces marines. Dans moins de cinq générations, nos émissions de gaz à effet de serre pourraient se traduire par un réchauffement climatique planétaire équivalent à celui du dernier événement de ce type qu’a connu la Terre.…’
‘… En d’autres termes, les émissions massives de gaz à effet de serre dues aux activités humaines mènent notre planète vers une situation inconnue, à un rythme inconnu. Si cela n’est pas préjudiciable pour l’avenir de notre planète et de la vie qui a été maintes fois chamboulée par des extinctions massives, il en est tout autrement pour notre civilisation qui n’y survivra pas’
Pourtant déjà quelque lignes plus loin on rentre dans le règne de l’à peu près, et on se demande comment le discours catastrophique précédent peut-être si affirmatif, il est en effet mentionné : ‘Les scientifiques ne peuvent évaluer précisément ni les quantités de carbone injectées dans l’atmosphère au cours du PETM ni la durée précise de ces émissions. Leurs analyses des prélèvements effectués dans les sédiments océaniques, qui gardent la trace des transformations des minéraux carbonés déposés pendant cette période, donnent une large fourchette estimée entre 3 000 à 7 000 gigatonnes de carbone accumulées sur 3 000 à 20 000 ans’. Notons au passage que ce ne sont pas ‘les minéraux carbonés’ qui permettent d’analyser le carbone émis, mais bien les compositions isotopiques du carbone (δ13C) des carbonates (par exemple dans les tests de foraminifères) et de la matière organique dans les séries géologiques.
8/ La science est-elle dite ?
Revenons donc à ce que l’on sait ou plutôt ce que l’on ne sait pas. Une récente étude (2018) [30] reprend le problème de la durée de l’événement PETM, c’est le point le plus important qui peut nous interpeller pour ‘l’avenir de l’Humanité’. D’abord l’étude reprend ou confirme tout ce qui a été dit sur l’augmentation de température, l’acidification … et la cyclostratigraphie, bien qu’ici l’aspect concerne les cycles de précession à des fins ‘utilitaires’ (calages temporels sur les cycles de ~21 kyr pour améliorer la résolution temporelle). Mais surtout l’étude passe en revue toutes les références sérieuses (basées sur la géologie et/ou la modélisation) sur la durée de l’événement PETM. Citons-les toutes de la plus courte à la plus longue : 1 an ou moins in [37], 13 ans, 500 ans, 1ka, 5 ka, 10ka, 20 ka, 50ka. Entre quelques années et 50 ka (= 50 000 ans) il y a bien entendu une large fourchette qui montre que la quantité de carbone (CH4 ou/et CO2) émise par année varie dans de grandes proportions. De plus l’étude souligne le fait qu’il n’est pas établi si l’émission du carbone s’est déroulée en une ou plusieurs phases, cela résulte à nouveau du suivi de la courbe de δ13C avec une résolution (géologique) temporelle insuffisante dans les coupes marines et terrestres. Pour certains auteurs [38] les deux tiers de l’émission du carbone auraient eu lieu en deux phases de moins de 1000 ans chacune, le reste au cours des 52 000 années suivantes. Selon Bowen et al. [37], l’émission de carbone s’est déroulée en deux phases d’environ 1500 années chacune avec retour à des valeurs ‘background’ entre les émissions. D’autres études montrent qu’il n’y a pas d’accord sur la ‘forme’ de la courbe du pic PETM [39,40, 41] et sur l’émission qui fut ou non en plusieurs phases. Malgré ces imprécisions inhérentes à la démarche géologique de séries anciennes, il est étonnant que le résumé de l’étude [30] suggère que les émissions humaines soient 10 fois celles du PETM par année, et pourtant juste après avoir donné cette estimation, l’auteur poursuit (toujours dans le résumé ou abstract) avec la phrase suivante : ‘Emissions rate estimates for the PETM are hampered by uncertainty over the total mass of PETM carbon released as well the PETM duration’. Sautons à la conclusion dont la dernière ligne est : ‘A key remaining challenge for the PETM, however, is in separating the total contribution of carbon from volcanic sources (either at a typical value of -6‰ or more depleted values associated with sill intrusion from true surface carbon cycle feedbacks’. C’est bien ce que montre le tableau récapitulatif de l’article en question [30], avec suivant les auteurs repris dans ce tableau (études de modélisation effectuées de 2009 à 2018), des valeurs de compositions isotopiques du carbone ‘PETM’ retenues variant de -6 ‰ à -50‰ représentant une émission totale de carbone variant de 3284 Pg à 10 200 Pg et une durée de l’événement PETM variant de 3 ka à 21 ka. Ces valeurs donnent une fourchette de 0,3PgC/an à 2,0PgC/an (ce qui est assez différent du <<1PgCyr-1de l’abstract de l’article), mais de l’ordre de grandeur de ce qui a été émis entre 1810 et 2014 (3,8 PgC/an). Cette fourchette de valeur d’émission du carbone au cours de l’événement PETM, basée sur des modèles, est certainement provisoire, puisque la fourchette est assez large s’étendant de quelques années à 50 000 ans.
Enfin il ne faut pas perdre de vue que d’autres effets amplificateurs ou associés tout simplement ne sont jamais pris en considération faute de proxies (et aussi à nouveau faute de résolution temporelle suffisante) et qu’aucune autre hypothèse que celle de l’hypothèse de l’effet de serre basé sur le CO2 (et CH4), toujours mentionnée dans les articles (sauf très rare exception [41]), n’est envisagée. Selon ces auteurs [41] ‘a more humid atmosphere helps to explain PETM temperatures, but the ultimate mechanisms underlying the shift remain unknown’.
Les quantités de carbone émises par année au cours du PETM se basent sur des modèles dont une des clés d’entrée est la composition isotopique du δ13C. Nous avons vu qu’elle varie dans une très large fourchette de valeurs (de – 60‰ à -6‰ pour la majorité des auteurs) et que plusieurs sources sont probablement à l’origine du PETM en des temps différents. Ainsi la Science ‘climatologique’ n’est pas dite, pas plus dans le passé qu’aujourd’hui et de nombreux travaux sont encore nécessaires avant de conclure ‘définitivement’.
A SCE nous avons déjà montré que pour aujourd’hui le bilan carbone était loin d’être précis et connu (ici), que ce sont les espèces écologiques envahissantes qui affectent la biodiversité (ici), que l’acidification des océans ne se résume pas à une catastrophe (ici), et que le changement climatique est la règle en géologie (ici), avec notamment les événements hyperthermiques de l’Oligocène, du Miocène, du Pliocène et les Optimas Climatiques (Holocène, Minoen, Romain, Médiéval) du Quaternaire auxquels ils convient d’ajouter les nombreuses périodes chaudes qui se sont succédées au Paléozoïque et Mésozoïque [42] sans parler du Précambrien. De même, de nombreuses périodes plus froides se sont succédées par exemple au Maastrichtien (interrompant provisoirement la période chaude initiée au Crétacé) ou à la limite Eocène-Oligocène, pour ne rester que dans le Tertiaire, avec un refroidissement très significatif au Néogène (Figure 1) menant aux glaciations du Quaternaire avec les cycles glaciaires et interglaciaires [23]. Oui, le changement climatique est bien la règle en géologie …
9/ Addendum et conclusion provisoire
Quelques éléments de réflexion pour terminer… et pistes à explorer
D’où viennent les variations cycliques ?
Les caractéristiques du changement climatique, telles que l’humidité, la température, la sédimentation, les courants océaniques ne sont que les émanations externes des grandes forces de notre système solaire. En fin de compte, la plupart de ces forces sont d’origine gravitationnelle, la Terre n’étant pas isolée et interagissant avec son environnement spatial, et en particulier avec le Soleil qui est sa source d’énergie externe dominante.
Il y a plus de cent ans, que les calculs de Milutin Milankovitch effectués à l’aide de papier et de crayons ont montré que les paramètres orbitaux tels que l’excentricité, l’obliquité et la précession affectent l’orbite de la Terre autour du Soleil et donc in fine l’insolation ou la quantité d’énergie que reçoit la Terre. Bien que la succession des principales périodes glaciaires du Pléistocène ait nécessité un ajustement par rapport à ces cycles, ce fut le début de la prise de conscience que les (paléo)climats ont souvent changé de façon cyclique au cours de l’histoire de la Terre.
Les cycles de Milankovitch mesurent les événements de mécanique céleste (force de gravitation) modifiant le mouvement de la Terre, à l’échelle de dizaines et centaines de milliers d’années. Le Soleil lui-même, en termes de variances électromagnétiques, présente également des « événements » distincts de plus courte durée. Une attention particulière est aujourd’hui portée sur les cycles solaires liés à la tachocline, qui représente à 0,7 rayon du centre solaire la zone de transition entre la zone centrale de rotation (ou zone radiative) uniforme et la zone de rotation différentielle (ou zone convective). Elle pourrait jouer un rôle important dans la génération du champ magnétique et de la dynamo solaires (ici) en induisant des cycles courts. Selon Jean Van Vliet (ir physicien, communication personnelle), l’activité solaire est due a des phénomènes gravitationnels, et non à un effet dynamo fort à la mode, mais jamais encore prouvé par les magnéticiens.
Les cyclicités de Milankovitch sont cependant difficiles à mettre en évidence dans les séries anciennes, suite aux résolutions temporelles insuffisantes et également ou surtout ? au caractère chaotique du comportement orbital surtout pour de très longues périodes, plus de quelques dizaines de millions d’années (Laskar, 2010 et ici).
La température fluctue bien sur des échelles de temps très courtes. Prenons la période du dernier glaciaire (de ~117 000 à ~21 000 BP) fort étudiée et caractérisée par des variations climatiques brutales, surtout dans l’hémisphère nord, marquées par la succession de plus de 20 stades froids et d’interstades chauds avec chaque fois un cycle long et un cycle court. Le cycle court (ou cycle de Dansgaard-Oeschler d’environ 1500 années) enregistre un réchauffement brutal de 8 à 10°C en quelques dizaines d’années seulement, soit à l’échelle d’une vie humaine. Ce réchauffement est suivi d’un refroidissement généralement plus lent, de plusieurs degrés (de 2 à 8°C) sur quelques centaines d’années (200 à 800 ans) suivant les cycles. Notons que les augmentations de température sont décalées entre les deux hémisphères, débutant environ 220 ans en Antarctique pour chaque cycle. On voit ainsi que deux modes climatiques ont lieu en même temps, un mode chaud dans les hautes latitudes de l’hémisphère nord et un mode ‘froid’ dans l’hémisphère sud, ces deux modes alternant au cours du temps (en fonction de la succession des cycles, références in [9]). Ces changements climatiques ne sont donc pas synchrones à l’échelle de la planète. Les augmentations fort importantes de température n’ont rien à voir avec le CO2 (en encore moins avec un CO2 anthropique inexistant à cette époque), et sont sans doute liées à la circulation thermohaline dans l’océan couplée notamment avec une réduction de la banquise [23]. D’autres cycles courts de variations de la température (événement de Heinrich, cycle de Bond … références in [9] s’observent aussi dans cette période glaciaire et montrent à quel point la ‘climatologie’ de cette période pourtant bien documentée est complexe, et les processus à l’origine de ces variations loin d’être compris. En tous cas nul besoin ici d’invoquer le CO2… et encore moins le ‘CO2 anthropique’.
Ici on revient indirectement à la question de l’œuf et de la poule : visiblement le paramètre à l’origine de ces changements brutaux de climat est lié à la circulation thermohaline liée à l’avancé vers le sud de la banquise [23]. Quel est donc le facteur à l’origine de ces changements répétitifs ?
D’intéressantes pistes ont été proposées par Charvatova en 2009 (44), Charvatova et Hejda, 2014 [45], Duhau et de Jager en 2010 [46] et de Jager et al. 2016 [47]. Ces auteurs ont montré que cette succession de cycles récents est probablement due à des effets gravitationnels dans le système planétaire, les oppositions et conjonctions (c’est-à-dire les deux modes qui sont synchrones ou non suivant les types de cycles, ces derniers sont plus nombreux que les cycles mentionnés ici) « perturbant » les orbites régulières des planètes, et aussi aux variations du magnétisme radiatif solaire (tachocline). Ces auteurs ont également mis en évidence des périodes encore plus courtes de 178,7 années liées au mouvement inertiel solaire et séparées par des périodes d’un nombre impair de mouvements « désorganisés » soulignant ici le caractère chaotique du système. Une récente et fort intéressante synthèse de l’influence de l’activité solaire sur le climat vient d’être publiée e montre qu’il reste beaucoup à faire dans ce domaine [48].
Ces quelques exemples concernant la période la plus récente montrent à quel point les incertitudes sont grandes et les connaissances faibles. Pour en revenir aux événements de type PETM en géologie, rappelons qu’il est aujourd’hui illusoire de conclure sur le ou les mécanismes à l’origine des changements climatiques, cessons d’être obnubilés par le CO2 et son soi-disant effet de serre. Reconnaissons qu’il reste beaucoup plus d’incertitudes, à la fois dans l’Actuel et le passé (géologique) et n’écartons aucune voie de recherche, et surtout ne tirons pas des conclusions dans la précipitation ‘alarmiste’.
Après avoir écarté l’influence du Soleil (‘constante solaire’) et ignoré de manière systématique les interactions solaires ou planétaires, les agences de l’ONU qui financent le GIEC ne soutiennent hélas pas la recherche sur le climat extraterrestre. Heureusement que la NASA avec sa sonde Parker et l’ESA avec sa sonde Solar Explorer s’intéresseront d’un peu plus près, dans les années qui viennent, à celui qui reste le moteur de notre climat : le Soleil (Jean Van Vliet, communication personnelle).
Notes
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Grand merci, professeurs Préat et Jacobs, pour ces éclairages. Un bel éloge formulé à l’endroit de la complexité de notre monde, à la cosmologie et à dame Nature, éloge joint aux multiples incertitudes qui s’y associent.
Paléocène/Eocène :
Sources de carbone : dans l’époque, hors des espèces préhominiens, visiblement pas de productions énergétiques générant « des excès de CO2 d’origine anthropique». Seules forces telluriques à l’oeuvre. Le dieu Vulcain y fut acteur. Effets de la tectonique des plaques ? Le règne du volcanisme à grande échelle, joint à des tsunamis phénoménaux ! Imagine t-on l’ampleur de ces énergies libérées pour déplacer nos massifs continentaux ? Quels ordres de grandeurs étaient-ce là (et encore aujourd’hui) ? Qui se hasarderait à vouloir les quantifier ?
Sur v/ chap. 7 : L’alarmisme des médias? Par une coïncidence, deux illustrations du « tout et son contraire médiatisés » me tombent sous attention dominicale.
Rubrique « Opinion LLB 27 avril 2019 », publiée par 3 chercheurs anglais. « Allons-nous connaître le même sort que les dinosaures ? ». https://www.lalibre.be/debats/opinions/allons-nous-connaitre-le-meme-sort-que-les-dinosaures-
On y ressent un compromis dubitatif entre science et des spéculations ANXIOGENES. Leurs « éco-systèmes perturbés », des restructurations systémiques à la clé. CHAOS potentiels annoncés. Où sont là leurs « proxies » ? Toutefois, nos trois chercheurs acceptent aussi des rejets massifs – par volcanisme – de soufre et de CO2 …
Tandis que, ce même jour, en une illustration relative à l’adaptabilité humaine nous lisons : « À 5300 mètres d’altitude, les mystères des habitants de la plus haute ville du monde » : Les mines d’or de La Rinconada, au-dessus du lac Titicaca, au Pérou, attirent des dizaines de milliers d’ouvriers. Ils vivent dans une ambiance de Far West glacial, à 5300 mètres, une altitude délétère pour l’être humain. Comment font-ils pour SURVIVRE? Une équipe de chercheurs a décidé de percer ce mystère.
http://www.lefigaro.fr/international/a-5300-metres-d-altitude-les-mysteres-des-habitants-de-la-plus-haute-ville-du-monde-20190425
Ainsi, une recherche de terrain s’interroge opportunément sur nos capacités humaines (et celles d’autres organes) à pouvoir s’adapter. Où ira alors globalement la biodiversité ? Bien remarquables de modestie seraient tous ceux qui se hasardent, par médias interposés, à nous le prédire !