par Jean-Pierre Schaeken Willemaers
Institut Thomas More, Président, Pôle Energie, Climat, Environnement
La transition énergétique est abondamment traitée dans les médias, souvent de manière univoque (ce que d’aucuns appellent le débat confisqué) en ignorant les conséquences socio-économiques. Dans ce papier, nous nous limiterons à sa composante électrique.
Rappelons tout d’abord que la finalité première d’un système électrique est d’assurer l’adéquation entre la production et la consommation d’électricité.
Il va de soi, quoique ce ne soit pas évident pour tout le monde, qu’il faut anticiper les adaptations nécessaires du système avant de procéder à la mise en œuvre du changement. Dans ce processus, l’analyse de l’impact sur la transmission et la distribution d’électricité et sur la continuité des services ainsi que la réalisation des travaux correspondants requis, sont prioritaires. Or aucun gouvernement ayant décidé de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre (GES), ne s’est soucié des conséquences de leurs décisions. Ceci explique les déboires des pays qui se sont précipités dans une stratégie de pénétration accélérée de production d’électricité renouvelable intermittente.
1/ Le cas de l’Allemagne est exemplaire à cet égard. Le problème n’est pas qu’elle se soit lancée dans la production éolienne et photovoltaïque (quoiqu’il faudrait mieux prendre en compte l’impact sur l’environnement des matériaux nécessaires à leur fabrication), mais qu’elle l’ait fait dans la précipitation sans avoir préparé ce changement de mix électrique et sans avoir tenu compte des impacts socio-économiques et qu’en outre, elle ait simultanément décidé de sortir de la génération nucléaire avec effet immédiat pour 50% de sa capacité, les 50% restants devant être arrêtés en 2022. Cette dernière décision est particulièrement incohérente alors que la production nucléaire n’émet pas plus de GES que le renouvelable intermittent, qu’elle est bon marché (car amortie) et que pour répondre aux besoins de consommation électrique, l’Allemagne a dû recourir à des centrales à charbon (particulièrement polluantes) et même en construire de nouvelles. En conséquence, au lieu de diminuer, les émissions de GES ont augmenté !
Berlin table désormais sur une baisse de 32% de ses émissions de GES en 2020 par rapport à 1990, contre 40% auparavant et n’atteindra donc pas ses objectifs. « L’effet des mesures prises jusqu’ici a été surestimé » a reconnu en juin 2018 le ministre de l’environnement Svenja Schulze tandis que Peter Altmeier a appelé à « ne pas foncer tête baissée dans la transition énergétique».
En outre, les membres de la Commission charbon se sont mis d’accord, le 25 janvier 2019, pour n’arrêter progressivement les centrales à charbon qu’entre 2022 et 2038 (pas avant 2045 pour RWE). La reconversion des régions minières va coûter 40 milliards d’euros tandis que 2 milliards d’euros seront consacrés à la compensation de la hausse des prix de l’électricité pour le consommateur en plus de l’indemnisation des exploitants qui se chiffrent en milliards d’euros.
2/ Un autre cas d’école est l’Australie, pays fortement impliqué dans l’éolien.
Le 28 septembre 2018, l’Australie du sud a été victime d’un blackout électrique total. Deux fermes éoliennes avaient subitement cessé d’alimenter le réseau entraînant la surcharge de l’interconnexion avec l’état voisin de Victoria et plongé l’Australie du sud dans le noir total à la suite de l’indisponibilité de production thermique locale. Plusieurs jours furent nécessaires pour réalimenter tous les abonnés car seule une remise en service progressive permettait de garder le contrôle de la tension et de la fréquence.
Ceci met, une fois de plus, en évidence qu’une pénétration élevée de renouvelable intermittent complique sérieusement la gestion du système électrique et requiert des investissements spécifiques lourds pour en assurer l’équilibre, ces coûts étant, bien entendu, supportés par les consommateurs finaux.
3/ Quant à la France, elle n’en est pas non plus à une incohérence près.
Alors que sa génération électrique est essentiellement nucléaire et hydraulique, c.à.d. non émettrice de GES, le gouvernement français a décidé d’ouvrir le mix électrique à l’éolien et au photovoltaïque.
Ce projet de modification du mix électrique à marche forcée est purement politique et fort coûteux. Il est sous-tendu par la volonté de la France de se présenter comme le leader européen de la politique bas carbone quel qu’en soit le prix à payer par le citoyen. La réalisation de pareils objectifs contre vents et marées fait craindre une dérive autoritaire pour imposer la doxa.
4/ Les pays de l’est de l’Europe privilégient leur développement socio-économique et sont moins sensibles aux considérations climatiques. Leur priorité est de rattraper le retard qu’ils ont accumulé durant l’ère soviétique. Ils ne sont donc pas disposés à abandonner rapidement les énergies fossiles et plusieurs d’entre eux ont l’intention d’investir dans de nouvelles centrales nucléaires.
5/ Actuellement et singulièrement depuis la COP 21, l’UE est le seul bloc qui s’est engagé, avec quelques rares pays, à mener une politique bas carbone avec tout ce que cela implique en termes de changement de société, de lourds investissements indispensables à la poursuite des objectifs climatiques, de chute de compétitivité etc. Il est à craindre que pour atteindre à tout prix leurs objectifs climatiques, l’UE et les Etats membres engagés dans le changement radical de mix électrique, ne mettent en place un système de contrôle stricte, via des agences, des comités des commissions et plans divers destinés à encadrer les activités individuelles, économiques et sociales, aux dépens des libertés individuelles et du bien-être des populations.
6/ Le reste du monde, c.à.d. l’immense majorité des pays, se garde bien de se lancer dans une telle aventure afin de préserver croissance et prospérité à venir.
L’entreprise européenne de transition énergétique est donc peu susceptible de provoquer un effet d’entraînement significatif mais, par contre, elle conduira à l’affaiblissement économique de l’Union Européenne et, partant, à une perte d’influence de celle-ci au niveau international.
Conclusion
Vu les incohérences précitées, les performances mitigées de la politique bas carbone européenne, voire les échecs dont il est question supra, ne serait-il pas plus raisonnable d’adopter une approche plus pragmatique prenant davantage en compte les impacts socio-économiques?
Notes
1. Il s’agit essentiellement de pays occidentaux ou assimilés tels que l’Australie.
2. « Péril sur l’électricité belge », J.P. Schaeken Willemaers, Texquis, avril 2018.
3. Violetta Bonnebas, « En Allemagne, la transition énergétique s’enlise », Raporterre, 3 octobre 2018.
Nb Cet article est paru dans La Libre le 27 mars 2019
La politique énergétique française est encore plus débile que vous le signalez puisque l’état et EDF encourage le chauffage électrique. Fabriquer de l’électricité (en appliquant de second principe de la thermodynamique) pour ensuite la réduire en chaleur !
Monsieur Clausius doit se réjouir, il voit son entropie qui n’arrête pas d’augmenter.
La raison de ce choix, est probablement historique, après avoir décidé de construire 56 centrales nucléaires il a fallu trouver une utilisation à toute cette électricité (pas chère à l’époque).
Si on interdisait aujourd’hui le chauffage élec et en lançant un grand programme de rénovation des centrales nucléaires (y compris Fessenheim, au lieu de la fermer) on aurait de l’électricité pour longtemps.
En ce qui me concerne, grâce à mon fournisseur ILEK, je suis client du barrage de Bollène sur le Rhône, mais ne le répétez pas, il n’y en aura pas pour tout le monde.
Lors d’une conversation entre amis (gens de bon sens, certains compétents en matières énergétiques), l’un d’eux évoqua une analogie troublante. Je vous la livre ici…
Au moyen-âge, les seigneurs interdisaient à leurs manants le droit à récolter et d’exploiter le BOIS, cette seule ressource naturelle alors largement disponible à la fois pour les usages productifs courants et pour survivre aux rigueurs de la VIE !
En cette lointaine époque, l’ignorance régnait en maître, autant chez les « grands » que chez leurs pauvres sujets ! Taux de pauvreté moyen dépassant les 85-90% en Europe ?
Le CO2, on ignorait son existence. L’accès à la science moderne, on ignorait. Hors les philosophes et quelques vrais érudits… dits nos classiques… les notions de sciences humaines et de démocratie, on ignorait quasi totalement. Les mythes et superstitions servaient utilement à dominer les foules analphabètes et frustres.
Seule prévalait alors la SOUMISSION aux seigneurs qui en exerçaient leur « JUSTICE », avec une rigueur parfois inhumaine. Même la religion dominante d’Europe d’alors condamnait de présumés excès de pensée par certains esprits jugés contradicteurs. Se souvient-on encore des SORCIERES et d’hérétiques (tels Giordano Bruno, etc.) subissant les tortures et/ou le bûcher aux 16e-17e ???
Changeons d’époque. La Renaissance et les Lumières transformèrent progressivement l’état mental de notre Occident. Petit à petit, les sciences (les VRAIES) exaltèrent des générations de penseurs et d’innombrables découvreurs. Pour soutenir un développement humain jamais connu aux temps jadis! Gloire donc à tous ces gens qui appliquèrent ce qui s’appelle vraiment le PROGRES. Un progrès des sciences exactes qui s’accompagnèrent d’une explosion d’autres progrès parmi nos sociétés, avec en de nombreuses dérivées : la DEMOCRATIE et les LIBERTES POLITIQUES ! Couplons-y autant les développements en nos sciences économiques et des industries actuelles? Avec un résultat de hausser le niveau de vie moyen d’un FACTEUR 250 entre 1750 et l’an 2000, où la pauvreté historique fut conjointement réduite de 85-90% vers 40% au début 20e et vers 12% dans l’Occident actuel, joint à un niveau de la santé publique sans équivalent si on le compare à d’autres régions de la planète !
Changeons encore d’époque. J’ose à peine invoquer que ceci semble se lier aux libertés conquises. Le XXe connut aussi une véritable explosion: celle des IDEOLOGIES et des UTOPIES. Vive l’espoir, clamèrent des masses à leurs ces théoriciens (Marx-Engels & Co), puis des mises en pratique ravageuses (ces Lénine-Staline, Hitler, Mao, Khmers rouges, etc.).
Changeons enfin d’époque vers la toute actuelle ? En matière d’effroi mêlé d’espérance en une vie présumée meilleure, le règne de nos politiciens – à tous niveaux – entourés dedits comités d’experts voit surgir l’opportunisme militant. Ainsi, de notions d’une écologie bien comprise (auxquelles j’adhère et la pratique), nous assistons à des dérives radicales. Ainsi naquit « l’écologisme – Deep Ecology ». Ses théoriciens de la 2e moitié du XXe ont conquis une armada de jeunesses conquérantes (et de leurs milieux enseignants?). La pression de leurs lobbies assène des menaces à peine voilées vers des politiciens surtout soucieux d’exercer encore leur POUVOIR contesté.
Comme dans notre moyen-âge révolu, une constante s’établit actuellement : la SUBORDINATION à des pressions anxiogènes et leurs courants de pensée (certains non démocratiquement élus !). Il s’y entremêle essentiellement des idéologies – des pseudo-sciences – et une forme de technocratie clamée « l’alternative en une TRANSITION absolutiste ». Haro donc sur des chiffres incontestables. La dictature du tout erronément médiatisé et la propagande via « réseaux sociaux » subordonnent l’habituelle logique des PREUVES à celle des courants émotionnels et des « nouveaux pouvoirs mainstream » … dont les arrières pensées ne sont pas dénuées de quelques intérêts. Chacun peut estimer quelles formes transitoires !!!
Parierons-nous (la liberté de croyance m’y autorise) que l’histoire des affres humaines trouve ici une de ses exactes « répliques cycliques». Vive alors l’alchimie d’un chaotique XXe siècle ??? (s) E.