par Alain Préat, Professeur émérite de l’Université Libre de Bruxelles
En cas de citation prière de mentionner Alain Préat « L’augmentation récente du taux de CO2 atmosphérique est-elle exceptionnelle? http://www.science-climat-energie.be/2019/01/10/laugmentation-recente-du-taux-de-co2-atmospherique-est-elle-exceptionnelle/
1. Des évidences ?
Une des problématiques majeures aujourd’hui concerne la cinétique de la concentration du CO2 atmosphérique. Cette problématique aveugle le débat, tant parmi les scientifiques que les non scientifiques (politiques, médias, tout un chacun…). Le raisonnement est simple, semble même imparable, car que n’entend-on pas dire : le taux de CO2 actuel évolue comme jamais ce ne fut le cas dans l’histoire de la Terre. Cette vérité simpliste semble d’autant bien établie qu’elle n’a jamais été infirmée et qu’à l’échelle de temps de l’année, le taux de CO2 augmente effectivement comme le montrent bien les mesures directes effectuées systématiquement depuis 1880. Il s’agirait donc d’une évidence. L’est-elle vraiment ?
S’agissant du passé de notre planète, deux évidences lourdes de conséquences sont à prendre en considération pour notre propos. La première est que le taux de CO2 atmosphérique n’a jamais été aussi bas dans l’histoire de la Terre, donc à l’échelle géologique depuis 4,567 milliards d’années, ce taux était de plusieurs dizaines de milliers de ppm au Précambrien et à partir de 541 millions d’années (au Phanérozoïque) de 15 à 25 fois plus élevé (soit plusieurs milliers de ppm) par rapport au Quaternaire ou à l’époque actuelle (ici). La deuxième conséquence est liée à la précision de la datation (chronologie ou radiométrie absolue ou autres, ici) des couches géologiques ayant enregistré indirectement d’une façon ou d’une autre le taux de CO2 dans des indicateurs plus ou moins ‘fiables’ ou ‘proxies’ tels que par exemple dans les bulles de gaz piégées dans les glaces pour le Quaternaire. C’est donc ici sur ce point particulier de la datation précise que le raisonnement ‘bloque’ ou ne peut se faire. En effet les courbes de CO2 qui vont être établies à partir des proxies présents dans les couches géologiques ne permettent jamais une bonne résolution temporelle, cette résolution s’étend au mieux sur plusieurs dizaines de milliers d’années pour les couches les plus récentes (Cénozoïque-Mésozoïque) et de plusieurs centaines de milliers d’années (Paléozoïque) et millions d’années (Précambrien) pour les couches plus anciennes (ici). On est donc bien loin de la précision annuelle, même journalière, de l’évolution actuelle ou très récente du CO2 atmosphérique. Autrement dit, l’éclairage géologique ne nous apporte rien de pertinent suite à son impossibilité de fournir un canevas temporel satisfaisant. Au mieux cet éclairage peut nous donner des tendances et permettre des extrapolations, mais force est de reconnaître que cela ne fait pas avancer la question par rapport à la situation actuelle.
Cependant, une étude de 2002 [1] publiée dans une revue de renommée internationale par l’équipe de Friederike Wagner de l’Université d’Utrecht, est passée assez inaperçue et apporte des éléments importants pour notre propos. Cette étude permet en effet de tirer des conclusions sur ce problème car elle concerne les changements rapides de la concentration de CO2 atmosphérique il y a 8200 ans B.P. [2] lors de l’Holocène [3]. La Figure 1 replace cet événement dans un cadre temporel un peu plus large entre le très fort refroidissement du Dryas et du réchauffement de l’Opimum Médiéval (‘Medieval Warming Period’) précédant le refroidissement Petit Age Glaciaire ‘Little Ice Age’ (Figure 1).
Figure 1 : Variations de la température (°F) au Groenland dans le cadre temporel de la fin du Dernier Age Glaciaire et de l’Holocène, d’après Schartz & Randall, 2003. Nb -60°F = -51°C et -20°F = -29°C. L’article discuté ici concerne le ‘8,200-Year Event’ de la figure). Nb ‘War’ correspond à ‘Warming’.
Les changements rapportés dans l’étude de 2002 s’inscrivent dans le refroidissement rapide de la région Nord-Atlantique entre 8400 et 8100 ans B.P. lié à un ralentissement de la circulation thermohaline. Les auteurs ont analysé l’évolution de la concentration en CO2 sur un intervalle de temps compris entre 8700 ans B.P. et 6800 ans B.P. (Figure 2). L’analyse proposée est réalisée avec une résolution temporelle du taux de variation du CO2 atmosphérique à l’échelle de quelques dizaines d’années (entre 40 et 100 ans suivant les couches) autorisant ensuite par extrapolation de suivre les variations du CO2 à l’échelle pluriannuelle grâce à des datations au 14C effectuées sur des feuilles fossiles de bouleaux (Betula pubescens et Betula pendula) préservées dans la tourbe et les sédiments d’un lac danois.
Sans entrer dans le détail, la méthodologie très ingénieuse a consisté à dater les feuilles fossiles très bien préservées (et donc les sédiments qui les contenaient), à calculer ou inférer les concentrations de CO2 atmosphérique à partir de l’analyse des stomates [4] des feuilles fossiles suivant une technique bien rôdée. La courbe de CO2 atmosphérique, datée à partir du 14C des feuilles fossiles du lac danois est ensuite comparée aux fluctuations de température déterminées à partir des carottes de glace de l’Antarctique (Taylor Dome), elles-même déduites d’autres proxies (par exemple les isotopes de l’oxygène [5]). Il ne reste alors plus qu’à assembler les pièces du puzzle et en tirer des conclusions.
Figure 2 : Concentration de CO2 déduites des glaces antarctiques (courbe de gauche) et des stomates des feuilles fossiles dans un lac danois (courbe de droite). Calibration des âges par carbone 14. Abscisse : teneur CO2 ( ppm), Ordonnée : âge en milliers d’années (B.P.). Source : Wagner, Aaby, Visscher, 2002, PNAS [1]. La zone grisée correspond au refroidissement proprement dit de l’Atlantique Nord.
2. Les résultats de l’étude de F. Wagner et al. (2002)
- L’Atlantique Nord a subi un refroidissement important entre 8400 et 8100 ans BP (zone grisée de la Figure 2), soit sur environ 300 ans, et la courbe d’évolution du CO2 a été établie pour l’intervalle de temps 8700-6800 ans B.P. Cette courbe présente de nombreuses fluctuations positives et négatives en dents de scie (Figure 2). On peut par exemple dénombrer 7 fluctuations positives ou augmentations du CO2 dans l’intervalle de temps 8680-7800 ans B.P., toutes de pente différente indiquant que le taux d’augmentation de la concentration de CO2 varie au cours du temps. On observe pratiquement la même chose avec le déclin de CO2 au cours du temps (8 fluctuations, chacune de pente différente). La comparaison des fluctuations positives et négatives montrent que ce sont les premières qui montrent les vitesses de variations du CO2 les plus rapides. Notons que la courbe d’évolution du CO2 établie à partir de la glace Antarctique (courbe gauche, Figure 2) ne montre aucune fluctuation, suggérant que les bulles de gaz piégées dans la glace ne constituent pas un indicateur très fiable (ici). Notons aussi que selon les auteurs de l’étude les variations température/CO2 sont liées mais la relation n’est pas comprise (voir ci-dessous) ;
- Dans le détail, l’évolution du CO2 est accompagnée de plusieurs fluctuations, certaines ont pu être datées par le 14C, et on a ainsi une augmentation de la teneur en CO2 d’environ 35 ppm en 40 ans (8680-8640 ans B.P.) soit 0,9 ppm/an, et d’environ 43 ppm en 31 ans (7800-7769 ans B.P.), soit 1,4 ppm/an ce qui est l’ordre de grandeur de taux d’accroissement actuel du CO2 atmosphérique (voir ci-dessous). Des augmentations plus faibles s’observent également, par exemple pendant 198 ans (8227-8029 ans B.P) avec une augmentation d’environ 15 ppm, soit 0,08ppm/an. Les fluctuations négatives sont du même ordre de grandeur mais plus faibles, comprises entre 0,02 ppm/an (décroissance d’environ 7 ppm entre 7160-6800 ans B.P) et 0,25 ppm/an (décroissance de près de 25 ppm entre 8500-8400 ans B.P) ;
- Les auteurs de cette étude conclurent ceci : ‘the exact phase relationship between changes in temperature and CO2 cannot be determined yet’. Ils conclurent également que la température liée au refroidissement a fluctué dans une fourchette de 1 à 5°C. Les auteurs de l’article ne discutent pas le point particulier lié à l’alternance des fluctuations positives et négatives de leur figure (ici Figure 2) ;
- L’étude détaillée à partir des stomates a également mis en évidence des teneurs de CO2 jusqu’à 326 ppm alors que l’analyse classique des glaces antarctiques (à partir des bulles de gaz) de cette même période (suivant la corrélation proposée par les auteurs), non seulement ne met pas en évidence les nombreuses fluctuations reportées ici, mais donnent des teneurs en CO2 toujours plus basses (< 265 ppm, Figure 2). De nombreux articles s’interrogent sur la fiabilité des études pour la reconstitution du CO2 atmosphérique à partir des bulles de gaz … (se reporter à SCE).
3. Discussion avec les données actuelles
Les résultats précédents, basés sur l’étude des stomates, montrent que les variations de la concentration de CO2, sont la règle dans la série de l’Holocène considéré, et de même amplitude que celles actuellement mesurées, surtout celles qui concernent les augmentations du CO2. D’autres études basées sur d’autres plantes sont cependant nécessaires pour préciser et valider ces conclusions. L’augmentation récente du taux de CO2 atmosphérique est d’environ 1,5 à 2 ppm/an en moyenne. Cette valeur, tout comme ce qui vient d’être mis en évidence dans l’Holocène, est également variable : par exemple un accroissement d’un peu moins de 0,5 ppm en 1993 et d’un peu plus de 3 ppm dans les années suivant les épisodes El Nino (1998 et 2016). Notons que si on met cet accroissement annuel en regard de la variation annuelle de température correspondante on n’observe aucune corrélation entre les grandeurs [6]. Si une corrélation était néanmoins présente elle serait différente de ce que les médias ont réussi à nous faire croire, en réalité l’augmentation de CO2 atmosphérique suit celle de la température à différentes échelles temporelles longues (plus d’un millier d’années) ou courtes (9 à 12 mois)[7].
Bien entendu il ne faut pas perdre de vue que l’étude de Wagner et al. (2002) concerne l’Hémisphère Nord à travers l’Atlantique Nord. Cela ne remet pas en cause les conclusions concernant le taux de variation du CO2, mais peut-être bien une corrélation ‘stricte’ avec les valeurs de CO2 en Antarctique, bien que ces dernières ne montrent pas de fluctuations significatives, ce qui rend ces corrélations encore plus difficiles (pour autant qu’elles existent, voir [1] et ici). Voyons donc plus précisément ce qui s’est passé dans l’Atlantique Nord et qui a provoqué le refroidissement rapporté ci-dessus, à partir d’études plus récentes. Pour cela il faut partir des compositions isotopiques de l’oxygène (δ18O) mesurées, qui présentent une diminution de 2‰ sur environ 100 ans dans les carottes du Groenland. Cette baisse correspond à une diminution locale dans l’Atlantique Nord de la température de 6 ± 2°C (ici). Cette période de froid a également été reconnue dans des lacs de Norvège, dans l’extension des moraines terminales bordant la calotte glaciaire, dans les variations des faunes de foraminifères planctoniques (ici) dans une carotte marine du sud de la Norvège et dans un lac bavarois en Allemagne, ce qui montre que l’océan a été affecté dans son ensemble et que le refroidissement n’a pas uniquement concerné l’Atlantique Nord sensu stricto [8]. Ce changement climatique s’est aussi traduit par un retour hivernal de conditions froides et sèches dans l’hémisphère nord (ici). L’étude des variations du niveau des lacs européens a montré que ce refroidissement fut également ressenti sur le domaine continental.
Reste à élucider le mécanisme à l’origine de ce changement abrupt du climat. Il n’est pas possible ici d’en donner le détail, mais comme pressenti par Wagner et al. (2002) il est lié à la circulation thermohaline atlantique. Celle-ci fut perturbée par l’apport d’eau douce (de 40 000 à 151 000 km3 suivant les endroits) lié à la vidange catastrophique du lac Agassiz (Canada) en quelques dizaines d’années (ou plus, ou moins, suivant les auteurs) vers le nord [9], suite à la rupture du barrage de glace qui fermait la baie d’Hudson, au sud de la calotte glaciaire Laurentide, qui recouvrait une grande partie de l’Amérique du Nord (ici). Ces auteurs ont pu estimer que la décharge d’eau douce a été d’environ 5 Sv (ici) pendant environ 6 mois. Les modalités précises de la rupture du barrage du lac (avec vidange en plusieurs épisodes et plusieurs exutoires) font l’objet de nombreuses études, contraintes par des datations au 14C, mais la rupture est liée au réchauffement climatique postglaciaire (= ‘post-glaciation pléniglacaire’) et a probablement induit la formation d’une couche d’eau froide de faible salinité en surface de l’océan et un rabattement du Gulf Stream sur les latitudes moyennes avec un refroidissement marqué du climat à la manière de ce qui peut s’observer lors des événements de Heinrich [5]. A plus large échelle temporelle, cet événement, typiquement interglaciaire, s’est produit plusieurs milliers d’années après le maximum d’insolation de l’hémisphère nord (ici). Le forçage solaire fut probablement le mécanisme principal, mais peut-être pas le seul ( ici).
4. Conclusion
Le taux d’accroisssement annuel récent du CO2 (fourchette 0,2-3 ppm) n’a rien d’exceptionnel par rapport à ce qu’il était au cours d’un partie bien documentée de l’Holocène (fourchette 0,1-1,4 ppm/an pour l’augmentation de la concentration de CO2). Il est évident que les résultats de l’étude consacrée à l’Holocène ne peuvent prétendre à une précision identique aux mesures actuelles, mais les ordres de grandeurs de l’accroissement du CO2 sont tout à fait compatibles avec ce que l’on observe aujourd’hui. La situation actuelle n’a rien d’exceptionnel. Enfin on doit s’interroger sur les concentrations ‘absolues’ déduite des microbulles piégées dans les glaces antarctiques.
nb. Rappelons enfin que l’air sec se compose de 78,08% d’azote, de 20,95% d’oxygène, et de moins de 1% de gaz rares dont 0,93% d’argon, 0,04% de CO2 et des quantités encore plus faibles d’autres gaz. La plupart du temps l’air terrestre est humide et contient 0,2 à 7,6% de vapeur d’eau, suivant la température. Parmi 10 000 molécules d’air sec, il y ainsi 7808 molécules d’azote, 2095 d’oxygène, 93 atomes d’argon, et seulement 4 molécules de CO2 (et d’autres en quantités encore plus faibles). Il peut s’y ajouter, suivant la température de l’air, de 20 à 760 molécules de vapeur d’eau, (principal gaz dit à effet de serre). En un siècle, une molécule de CO2 sur 10 000 d’air sec [6] ou 10 040/10 760 d’air humide et chaud s’est ajoutée dans l’atmosphère actuelle …
Notes
- Wagner F, Aaby, B, Vischer H 2002. Rapid atmospheric CO2 changes associated with the 8,200-years-B.P. cooling event. PNAS, 99(19) : 12011-12014.
- Holocène, partie supérieure de l’ère Quaternaire, débutant à 11700 ans
- P. Abréviation de l’anglais Before Present, c’est-à-dire avant le présent, l’année considérée comme le présent est l’année 1950, date antérieure aux essais nucléairesqui ont pertubé la répartition des isotopes utilisés en radiochronologie.
- Orifice de petite taille dans l’épiderme des organes aériens des végétaux. Il permet les échanges gazeux entre la plante et l’air et son diamètre est lié à la teneur en dioxyde de carbone dans l’air ambiant.
- Van Vliet-Lanoë, B. 2013. Cryosphère, Histoire et environnement de notre ère glaciaire. Vuibert, 405p., ISBN 978-2-311-1030-5.
- Gervais F. 2013. L’innocence du carbone. L’effet de serre remis en question. Albin Michel, 315p.
- Humlum, O. Solheim, J.E., Stordhal, K. 2011. Identify natural contributions to late Holocene climate change. Global and Planetary Change, 79(1-2) : 145-156.
- Duplessy, J.C. , Ramstein, G. 2013. Paléoclimatologie, Enquête sur les climats anciens. Tome II, CNRS Editions, Physique (Savoirs, Actuels), 427p. ISBN 9-782759-807413
- Cronin, T.M. 2009. Paleoclimates. Understanding Climate Change Past and Present. Columbia, 441p., ISBN 9-780231-144940.
Bonjour,
Pouvez-vous m’indiquer en % la quantité de CO2 anthropique dans l’ensemble des GAS ? ( gaz à effet de serre )
J’ai lu dans diverses documentations sur ce sujet ceci :
Total du CO2 dans les GAS = 30 % dont 95 % d’origine naturelle et 5 % anthropique;
Peut-on en déduire que sur l’ensemble l’homme interviendrait pour 95 x 5 = 4,75 % ?
Merci de m’éclairer.
Bien cordialement.
OGER Guy
Bonjour,
Votre question ‘tombe bien’ car elle a été récemment traitée en profondeur dans SCE par Monsieur Maurin, qui en a publié 4 articles. Je vois conseille celui-ci:
http://www.science-climat-energie.be/2018/11/12/evolutions-recentes-du-co2-atmospherique-3-4/#more-3787
Bien cordialement
Alain Préat
C’est bien quand ceux qui ne maîtrisent pas le sujet se permettent de faire des « conférences »…
J’aime beaucoup Max Bird, mais il y a tellement d’imprécisions dans son propos que j’ai même la flemme de tout reprendre.
Et puis je ne vais pas répondre sur Youtube ils sont tous acquis à sa cause, si un climato-réaliste pointe le bout de son nez c’est le bûcher assuré…
https://www.youtube.com/watch?v=GofLYMzKzv4&feature=youtu.be
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