par Prof. Dr. Paul Berth
Comme mentionné dans un article précédent, le DMI (Danish Meteorological Institute) publie régulièrement l’évolution temporelle, mois par mois, de l’étendue de la glace de l’Arctique en millions de km2. Le dernier graphique publié (Fig. 1) nous montre l’étendue de la glace au mois de septembre entre 1979 et 2018 (c’est au mois de septembre que l’étendue de glace arctique est la plus faible, moins de 10 millions de km2). Une droite, dont la pente est négative, est tracée parmi les points : tous les 10 ans, la surface semble diminuer de 11,4%. Si l’on extrapole la droite ont peut calculer qu’il n’y aura plus de glace en Arctique dans 60 ans. Cependant, ne remarquez-vous rien d’étrange sur ce graphique?
Et bien oui, il y a quelque-chose d’étrange : il n’y a pas de barres d’erreur pour chacun des points! Consultons maintenant le rapport du GIEC sur la cryosphère [1]. Ce rapport nous donne à la page 326 un graphique comportant des barres d’erreur (Figure 2).
Nous voyons par exemple que sur la figure du GIEC (Figure 2a), la mesure de 7,5 106 km2 de septembre 1989 est accompagnée d’une barre d’erreur valant ± 1 million de km2. Sur le graphique ci-dessous (Figure 3), des barres d’erreur de 1 million de km2 ont donc été rajoutées sur le graphique du DMI, et ce pour les 10 dernières années. Bien entendu ceci est approximatif, mais comme les vraies barres d’erreur ne sont pas disponibles il faut bien en placer soi-même pour se faire une idée de ce qu’il se passe.
Nous pouvons ainsi voir sur la Figure 3, qu’à part une valeur qui semble significativement plus basse en 2013, la surface de la glace atteinte en septembre ces 10 dernières années est relativement stable. Il est clair que la surface des glaces était plus grande en 1980, mais concernant les 10 dernières années il n’y a probablement aucune différence significative entre les valeurs observées pour la période 2008–2018 (excepté 2013). Il faudrait bien entendu placer les véritables barres d’erreur sur le graphique et réaliser une étude statistique rigoureuse… Les puristes pourront toujours réclamer auprès du DMI.
Pourquoi la mesure est-elle si peu précise? 1 million de kilomètres carrés c’est quand-même grand… Par exemple, c’est plus ou moins la surface de l’Egypte (Figure 4), le chiffre exact étant 1 001 450 km2. La France, ne fait que 643 801 km2, quant à la Belgique n’en parlons pas, elle fait à peine 30 528 km2. Pour la surface d’autres pays voir ici.
Pourquoi une si grande erreur? Pour le savoir, consultons les documents fournis par l’organisme chargé de collecter et de diffuser les données satellitaires (Eumetsat OSI SAF). Pas besoin d’être un spécialiste, ces documents sont très clairs :
« Known limitations of the reprocessed sea ice concentration products are listed in this section. All the aspects listed apply in large extent to the other existing Sea Ice Concentration datasets based on Passive Microwave Radiometer (PMR) measurements. Users of the OSI SAF and other similar data sets, should be fully aware of these so that not to bias their conclusions.[2]«
Voici les principaux biais selon Eumetsat :
- De la vraie glace peut être invisible pour les satellites, particulièrement dans les zones ou la concentration de la glace est faible. Ceci provient du traitement appliqué aux données pour enlever le bruit de fond dû aux nuages.
- En été, la glace fond légèrement en surface (sur quelques cm) et le satellite détecte de l’eau, alors qu’il y a de la glace sous les quelques cm d’eau.
- Lorsque la glace est trop fine (<30 cm) le satellite n’est pas performant et ne voit pas la glace.
- De nombreuses données sont manquantes, dans l’espace et dans le temps. De l’interpolation spatiale et temporelle est donc réalisée afin de combler les lacunes.
- La résolution spatiale est faible. En effet, selon le canal utilisé par le satellite (la fréquence micro-onde détectée par le radiomètre embarqué), la zone analysée et considérée comme un point peut être aussi grande que 148 km x 95 km (c’est la cas par exemple pour le détecteur micro-ondes de type SMMR sur NIMBUS-7). Ceci vient du fait que pour obtenir suffisamment de micro-ondes au détecteur il faut considérer une très grande surface, car la Terre émet très peu de micro-ondes. Vraiment très peu… Pour s’en rendre compte il suffit de visualiser la courbe de Planck pour 300 K avec SpectraCalc.com (en plaçant « upper limit » à 1000 microns, la ou commence le domaine micro-ondes).
- Des problèmes de détection sont constatés à l’interface entre les côtes et la glace de mer. Dans ces zones, le satellite ne sait pas s’il s’agit de terres, de mer ou de glace. Et donc des erreurs sont commises.
Conclusions
– Sans barres d’erreurs, un graphique ne veut rien dire. Impossible de dire si la tendance observée est significative.
– Il est indéniable que la surface des glaces arctiques en septembre 1980 (± 8 millions de km2) était plus élevée qu’actuellement (± 6 millions de km2) et que c’est significatif. En effet, pas besoin de test statistique pour voir que 8 ± 1 est significativement plus grand que 6 ± 1.
– Les satellites ne sont pas très précis lorsqu’ils mesurent la surface des glaces. L’erreur sur la mesure vaut environ 1 million de km2, c’est-à-dire la surface de l’Egypte.
– Pour les 10 dernières années (2008–2018), étant donné l’erreur sur la mesure, les valeurs ne semblent pas significativement différentes les unes des autres, si ce n’est la valeur plus basse de 2013. Les réalistes y verront une stagnation alors que les optimistes y verront bien entendu une augmentation!
Références
[1] Vaughan, D.G., J.C. Comiso, I. Allison, J. Carrasco, G. Kaser, R. Kwok, P. Mote, T. Murray, F. Paul, J. Ren, E. Rignot, O. Solomina, K. Steffen and T. Zhang, 2013: Observations: Cryosphere. In: Climate Change 2013: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Stocker, T.F., D. Qin, G.-K. Plattner, M. Tignor, S.K. Allen, J. Boschung, A. Nauels, Y. Xia, V. Bex and P.M. Midgley (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA.
[2] Sørensen et al. 2017. Global Sea Ice Concentration Climate Data Record. Product User Manual. Product OSI-450. Document version: 1.0. Data set version: 2.0. DOI: 10.15770/EUM_SAF_OSI_0008. March 2017.
Bien évidemment, mais le but de l’article est de montrer qu’il n’est pas normal de publier des graphiques de cette importance en s’affranchissant -ou en passant sous silence- les barres d’erreur.
Cela veut-il dire que si l’erreur est de 1 million de km2 à la baisse en 1980 et que l’erreur est de même à la hausse en 2018, la surface de glace en Arctique est stable autour de 7 million de km2 en septembre depuis le début des mesures par satellite ?
Non, il y a une réelle baisse. En 1980 on était à environ 8 millions de km2 (± 1 million) et en 2018 on est à 6 millions de km2 (± 1 million). La barre d’erreur inférieure pour 1980 arrive à 7, et la barre d’erreur supérieure pour 2018 arrive aussi à 7. Mais ces deux barres d’erreur ne se chevauchent pas, elles ne font que se toucher. Il y a donc certainement une différence significative entre 1980 et 2018 (un test statistique approprié pourra le confirmer, mais pour cela il faut avoir accès à toutes les données).
Monsieur Berth,
Puis je vous suggérer ces lectures ?
http://osisaf.met.no/docs/osisaf_cdop2_ss2_pum_sea-ice-conc-climate-data-record_v1p0.pdf
http://osisaf.met.no/docs/osisaf_cdop3_ss2_pum_ice-conc_v1p6.pdf
La première référence a été utilisée pour écrire le texte. Je ne vois donc pas ou vous voulez en venir, soyez plus précis.
La valeur basse correspond à 2012 et non à 2013.
Mais peu importe, il est clair que l’étendue de la banquise est stable depuis une dizaine d’années. Voir sur le site du NSIDC, la figure 5b de la page concernant la banquise arctique. Cela apparaît clairement :
https://nsidc.org/arcticseaicenews/
Merci pour cette précision!
Recevant d’un vieil ami une séquence de vulgarisation MP4 de 5′ relative aux CYCLES de MILANKOVITCH (1941, sa théorie astronomique des changements climatiques, portant nécessairement sur une échelle L-T …), la chose me remémore un lointain article sur son sujet. On en retrouve notamment une bonne description assortie de bons graphiques didactiques via :
http://planet-terre.ens-lyon.fr/article/milankovitch.xml
En contraste, votre article traitant lui d’analyse des variations évaluées sur le C-T (oui merci pour avoir rappelé ces BARRES d’ERREURS !), le lecteur en aura perçu ce que d’aucuns osent publier sans une nécessaire rigueur – ou pire – avec un arrière-plan idéologique !
Pareilles distorsions auxquelles DMI n’échappa guère dans un temps premier et dont on retrouve aussi l’empreinte mentale au travers du « simplisme rédactionnel » lisible sur le site « grand public » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Oc%C3%A9an_Arctique ( ! ).
Invoquant là de multiples « références », présumées rigoureuses, dès que leur article effleure notre « futur climatique », les auteurs/correcteurs de wikiki versent dans les prédictions convenues (lire à cet égard le chapitre « réchauffement climatique »),
tous leurs dires semblant être arrêtés à 2012 … avant la pub. AR5 du GIEC !
Questionnement ? Si les centres d’études se fondent massivement sur l’observation satellitaire, que penser non seulement sur la précision des variations d’étendue de la banquise mais tout autant sur leur mesure d’épaisseurs (les variations volumétriques selon nos saisons ? Depuis 2010 un satellite ESA Cryostat-2 semblerait avoir réussi à estimer ces chiffres d’épaisseurs variables ( 1,9 à 2,9 m ou jusqu’à 4 mètres ?). Rapidement, les publications qui en sont issues empruntent alors le même sens que celui des habituels milieux catastrophistes !
Plus chaud au Nord, tandis que plus froid au Sud ?
Que savons-nous vraiment d’une tentative de bilan « global » Arctique – Antarctique ?
Car nos « chercheurs » se focalisent tantôt sur un pôle, tantôt sur l’autre. Or notre globalité terrestre voudrait que plus sérieusement ILS cessent leurs micro-analyses et en publient des résultats parcellaires !