par Samuel Furfari, Professeur de l’Université libre de Bruxelles.
Il ne se passe pas un jour sans que surgisse sur les réseaux sociaux ou dans les médias une discussion sur le prix de l’électricité. Pour les uns, le prix de l’électricité produite par les énergies renouvelables est bas et pour les autres au contraire il est élevé. Qui a raison ?
Il faut examiner l’ensemble de la filière de la génération d’électricité pour pouvoir juger et non pas, comme on le fait trop souvent, se cantonner à un seul aspect. Nous allons donc procéder étape par étape de manière à présenter de manière objective ce qu’il en est. Nous allons d’abord constater que la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables est déjà une forte réalité et qu’elle est en croissance. Nous allons ensuite observer qu’il est crucial d’équilibrer constamment la production d’électricité et sa consommation et que cela ne peut se faire que par l’intermédiaire d’un réseau. Nous passerons ensuite au caractère intermittent de certaines énergies renouvelables et verrons quelles en sont les conséquences pour enfin pouvoir aborder la réalité des prix aux consommateurs. Dans la dernière partie nous allons parler du prix de l’électricité que nous payons en tant que consommateur et qui n’est pas bien entendu le coût de production.
Le but de cet article est qu’à travers cette démarche pédagogique le lecteur puisse se faire sa propre opinion sur la question du prix de l’électricité d’origine renouvelable.
L’électricité renouvelable, une réalité
Il est indéniable que la Directive européenne de 2009 obligeant les États membres à consommer des énergies renouvelables porte ses fruits. Certes, tous les pays n’ont pas emboîté le pas avec le même enthousiasme à cette obligation législative voulue par les États membres eux-mêmes, puisque ce sont bien eux avec le Parlement européen qui décident pour l’UE. Globalement dans l’UE les énergies renouvelables sont passées d’environ 8 % à 16 % de la demande finale (et non pas de la demande primaire) entre 2008 et 2017. Les énergies renouvelables les plus importantes, et de loin, sont les biomasses utilisées pour la génération de chaleur (pays nordiques et baltes en tête). En ce qui concerne l’électricité produite par les énergies renouvelables on est passé de 594,7 térawattheures (TWh) à 857,1 TWh mais le gros de cette production est bien entendu liée à l’hydroélectricité. La production d’énergie éolienne est passée de 119,5 TWh à 302,9 TWh et le solaire de 7,5 TWh à 110,9 TWh, une augmentation spectaculaire. De sorte que ces deux énergies renouvelables représentent en 2017 12,7 % de la demande en électricité de l’UE. En matière d’électricité solaire l’Allemagne, qui est l’État membre qui a le plus cru dans cette filière car elle possède 40 % de la puissance installée dans l’UE (Figure 1), produit 5,9 % de sa demande d’électricité avec cette énergie, l’Espagne 5 %, la Belgique 3,6 %, la France qui est nettement plus ensoleillée atteint un pénible 1,5 %, la championne étant l’Italie avec 7,9 %.
On observera qu’en matière de puissance installée par personne l’Allemagne se singularise de nouveau démontrant, s’il le fallait encore, son engouement pour l’énergie solaire. La Belgique, un autre État membre qui n’est pas connu pour son ensoleillement particulier, a pourtant une puissance installée par habitant presque égale à celle de l’Italie et 2,7 fois plus élevée que celle de l’Espagne. Il faudra se souvenir de cette observation quantitative lorsque l’on sera à la fin de cet article.
Au-delà de l’Allemagne – et on pourrait ajouter au-delà de la Belgique – lorsque l’on parle du prix de l’énergie solaire on arrive souvent aux exemples des pays très ensoleillés comme les pays arabes. Si l’on tient à défendre cette énergie il est normal de choisir un pays ensoleillé. Voyons donc un exemple de ces tous derniers jours.
D’après le site PV-Magazine.com la meilleure offre de prix reçue par Egyptian Electricity Transmission Company (EETC) – l’entreprise nationale égyptienne d’électricité – pour la production d’électricité dans une installation solaire photovoltaïque de 200 mégawatts (MW) pour le parc solaire de Benban en Égypte dans la région d’Assouan n’est que de 0.02791 $ par kilowattheure (kWh) ; elle a été soumise par le développeur espagnol Fotowatio Renewable Venture. Deux autres offres proposaient 0.02799 $/kWh et 0.03045 $/kWh tandis que la plus chère était de 0.035 $/kWh. Il faut réaliser que même cette dernière offre est très basse et c’est bien réel ! Mais cette construction se fera avec le « soutien » de banques publiques comme la Banque Européenne de Reconstruction et Développement ou la Bayerische Landesbank (une banque du Lander de Bavière), c’est-à-dire que de l’argent public sera accordé pour que cette installation égyptienne devienne une réalité. Aucun entrepreneur privé sans « soutien public » ne s’embarquerait dans une telle entreprise.
Il n’en demeure pas moins que c’est une évidence : le coût de production de l’électricité solaire photovoltaïque a chuté tout comme celle des installations éoliennes et cela pas seulement dans l’UE mais dans le monde. Irena – l’Agence internationale de l’énergie renouvelable – publie chaque année l’évolution des coûts. Entre 2010 et 2017 on assiste à une diminution des coûts des installations qui sont passés de 4 400 à 1 400 $/kWh installé pour le solaire et de 1 850 à 1 400 $/kWh pour l’éolien (ces chiffres sont arrondis). La Figure 2 montre toutefois que l’on semble atteindre une asymptote de sorte que l’on ne devrait plus s’attendre à une diminution du coût d’investissement (axe de gauche). Le coût actualisé de l’électricité produite par ces deux sources d’énergie renouvelable diminue également pour atteindre 0,06 $/kWh pour l’éolien et 0,10 $/kWh pour le solaire (axe de droite). Pour eux il semble qu’il y ait encore de la marge. Il ne faut pas perdre de vue que cette chute impressionnante (trait pointillé orange) est également due au fait que l’on a assisté à un développement des installations solaires dans des pays plus ensoleillés qu’en Europe.
Le coût des panneaux photovoltaïques a diminué notamment grâce à l’appel d’air créé par la Directive européenne qui a conduit les industries chinoises à investir massivement dans la fabrication de panneaux. Mais une installation solaire en Égypte ou en France, de taille industrielle ou sur votre toit, n’est pas constituée que de panneaux solaires ; il y a tout le reste à partir des infrastructures jusqu’aux divers équipements électriques et, en particulier, l’onduleur pour transformer le courant continu en courant alternatif. Sans oublier la main-d’œuvre qui elle en Europe n’est pas chinoise ! Or tous ces coûts ne chutent pas de sorte que ne parler que de prix bas des panneaux photovoltaïques est un raccourci injustifié.
Mais le problème n’est pas vraiment là.
L’évanescence de l’électricité
L’électricité est un drôle de vecteur énergétique. Elle est évanescente. Elle ne peut exister que si simultanément existe une consommation pour l’éliminer. La photo de la Figure 3 va nous aider à illustrer cette caractéristique probablement unique : l’existence de l’électricité dépend de sa disparition immédiate, instantanée.
Cette photo représente un banc d’essai du laboratoire d’électricité où j’ai fait mes études d’ingénieur[a]. On y voit trois machines tournantes qui peuvent, selon les expériences réalisées par les étudiants, fonctionner comme des génératrices d’électricité ou bien des moteurs. Sur la gauche de ces machines on observe une structure métallique qui comporte sur trois faces une multitude de grosses ampoules électriques à incandescence. Celles-ci servent à consommer instantanément l’électricité produite par la génératrice. Sans elles il serait impossible de produire de l’électricité. Inversement, en fonction du nombre d’ampoules qu’on connecte au circuit électrique la génératrice doit produire tout aussi instantanément la quantité d’électricité nécessaire à leur fonctionnement. Il n’est pas possible d’alumer les ampoules sans production mais il est tout aussi impossible de produire de l’électricité sans que ces ampoules ne soient connectées c’est-à-dire qu’elles consomment l’électricité produite. Cet équilibre, destructeur de l’électricité produite, doit toujours se faire de manière instantanée. La production classique a toujours été en mesure de faire le suivi de charge. Dès que vous consommez la moindre quantité d’électricité une centrale quelque part sur le réseau en tient compte et va en produire plus instantanément. Et vice-versa, si vous consommez moins, une centrale produira moins. Les centrales au charbon ou au gaz naturel font cela sans aucune difficulté. C’est plus compliqué pour les centrales nucléaires mais ce n’est pas impossible. Par contre, pour les centrales éoliennes ou solaires cela est impossible puisque c’est la Nature qui dispose.
De plus, puisque la grande majorité de la production d’électricité dans l’UE est interconnectée, les génératrices doivent tourner toutes à la même vitesse synchrone mais aussi avec le même phasage (les signaux sinusoïdaux de la génération doivent être parfaitement alignés dans toutes les génératrices du réseau interconnecté). Tout cela est parfaitement maîtrisé depuis longtemps par les ingénieurs des réseaux électriques.
L’électricité renouvelable n’échappe pas à cette règle et doit donc être consommée instantanément. Tant que la part d’électricité éolienne ou solaire était faible, comme c’était le cas dans l’UE juste avant l’obligation de production d’électricité renouvelable, ce n’était pas un problème. Mais la mise en œuvre de la directive de 2009 obligeant les États membres à produire un taux minimum de cette électricité a commencé à créer des difficultés. Lorsque la demande en électricité n’est pas suffisante il faut quand même lui trouver un débouché. Le marché a joué son rôle : il veut bien acheter le surplus d’électricité renouvelable à un prix négatif. Mais on comprend que ce n’est pas une solution idéale, vendre à perte n’est jamais une bonne solution ni une issue durable.
On a donc trouvé trois solutions praticables en théorie pour résoudre ce problème de la non‑adéquation entre offre d’électricité renouvelable et la consommation d’électricité : le stockage de l’excès d’électricité, la prise de contrôle des équipements consommateurs d’électricité ou l’obligation de maintenir des installations conventionnelles en stand by moyennent un financement (Figure 4).
Cela nous amène à parler brièvement du stockage de l’électricité, un sujet qui mérite un article à lui seul. On peut résumer en disant que hélas il n’y a aucune solution applicable industriellement en dehors du pompage/turbinage. Cette solution qui consiste à consommer de l’électricité dont on n’a pas l’usage en pompant de l’eau dans un bassin supérieur et de produire de l’électricité lorsqu’il y a une pointe de demande en la renvoyant dans un bassin inférieur a été développée bien avant que l’on ne parle d’énergies renouvelables. Elle est souvent économique mais ne permet pas de gérer de grosses quantités d’électricité ; de plus, peu de sites naturels sont adaptés pour cette technique. Par exemple, en Belgique la centrale de Coo a été conçue au moment du développement du parc nucléaire belge afin de répondre à d’éventuelles interruptions de production électrique. Elle possède un réservoir de 8 millions de m3 d’eau et permet de produire 5 500 mégawattheures (MWh), soit le fonctionnement d’un réacteur nucléaire pendant cinq heures.
Les batteries ne sont pas une solution avant qu’il n’y ait de rupture technologique en électrochimie. Il suffit de penser que toutes les batteries fonctionnent avec des atomes qui ne mettent en jeu que le saut d’un seul électron ce qui en limite forcément la capacité (Li/Li1+ ; Ni2+/Ni3+ ; Co3+/Co4+). Des laboratoires de pointe investissent en recherche fondamentale pour trouver des batteries mettant en jeu deux électrons voire plus (Mg/Mg2+ en phase liquide). Mais cette technologie est encore très éloignée. En attendant, les batteries sont trop chères (en énergie, matériaux, coût, fiabilité, durée de vie courte et recyclage). Science-Climat-Energie a déjà abordé la délicate question des métaux nobles et leur recyclage, sources de préoccupations ainsi que les limitations thermodynamiques de l’hydrogène notamment par la filière « Power To Gas ». Il n’y a donc pour l’instant aucune application industrielle en mesure de stocker de manière économique le surplus d’électricité. Il faut donc passer aux deux autres méthodes.
La deuxième méthode est celle de la gestion plus intelligente du réseau (Smart Grid). On l’a vu plus haut, de tout temps la gestion du réseau a requis des méthodes d’analyse complexes afin d’assurer constamment et instantanément l’équilibre entre production et consommation ; l’intelligence dans les réseaux électriques a toujours existé ! Mais à présent que le problème devient plus complexe et plus ample il va falloir trouver des méthodes, des codes et des appareils qui permettront la circulation du surplus d’électricité vers des points de consommation parfois distants y compris dans des États membres différents. Le réseau intelligent prévoit également la prise de contrôle des équipements électriques domestiques par le gestionnaire du réseau. Ainsi, par exemple, en l’absence de vent le gestionnaire pourrait délester le réfrigérateur dans votre cuisine ou bien l’enclencher à nouveau s’il y a une production d’énergie renouvelable. On conçoit qu’avec la digitalisation cela peut en effet devenir réalité, mais elle ne l’est pas encore et de toutes les façons cela prendra énormément de temps pour que tous les appareils électro-ménagers puissent être équipés de puces électroniques pour cette gestion à distance et absorber des quantités grandissantes d’électricité d’origine renouvelable. Pour les opérateurs industriels le délestage fait déjà partie du marché de l’électricité.
La dernière solution, le marché de capacité, consiste à obliger – et donc à financer par les pouvoirs publics ou/et par les consommateurs – les installations thermiques pour qu’elles produisent uniquement au moment imposé par les conditions ; elles doivent donc rester disponibles en attente d’un appel de production. Puisque la génération d’énergies renouvelables est prioritaire les autres installations – qui sont elles flexibles – doivent moduler la charge, mais cela occasionne des pertes financières à la fois parce que le rendement en suivi de charge n’est pas idéal mais surtout parce que des installations construites pour fonctionner plus de 8 000 heures par an ne fonctionnent plus que de l’ordre de 2 000 heures par an avec parfois seulement 400 heures pas an. Cela se fait mais évidemment le marché de capacité induit un surcoût de l’électricité injectée dans le réseau. De manière à limiter ce surcoût dans un État membre donné la Commission européenne préconise de gérer le parc des centrales électriques en intégrant celles qui sont disponibles dans une région voisine d’un autre État membre.
Puisque ces solutions n’existent pas en suffisance ou bien occasionnent des coûts nous ne devrions pas être surpris que le prix de l’électricité augmente au fur et à mesure que se développent les énergies renouvelables intermittentes.
L’intermittence, le vrai problème des énergies renouvelables
Nous venons d’écrire le mot « intermittence » ce qui est un autre problème sérieux de la production d’électricité à partir de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes car elles sont justement par nature intermittentes. Le vent ne souffle pas de manière continue en milieu terrestre (Figure 5) et souffle de manière un peu plus continue en mer mais quand même de manière intermittente. Le soleil ne brille pas toujours de la même manière, ni au cours d’une journée ni au cours de l’année, et la nuit il n’y en a bien entendu jamais.
Les données d’Eurostat indiquent que l’éolien ne fonctionne en équivalent pleine charge en moyenne pour toute l’Union que 23 % du temps et pour le solaire on tombe à 11 % de l’année ; on appelle cela le facteur de charge ou facteur d’utilisation. L’intermittente est naturelle et est inéluctable (Table 1).
La Figure 2 (axe de droite) donne l’évolution mondiale du facteur de charge pour l’éolien et le solaire. En 2010 ils étaient respectivement de 27 et 14 % ; en 2017 ils sont passés respectivement à 30 et 18 %. L’amélioration du facteur de charge pour l’éolien s’explique par des raisons technologiques (machines plus performantes, mâts plus hauts, palles plus longues) tandis que celles du solaire sont dues à l’augmentation de développement dans les pays ensoleillés, et notamment dans les pays arabes. Il n’en demeure pas moins que pour plus de 2/3 du temps il faut produire l’électricité avec des énergies non renouvelables pour suppléer le manque de vent, et dans l’UE c’est même 3/4 du temps. Pour le solaire c’est pire parce qu’au niveau mondial il ne fonctionne pas pour plus de 80% du temps et dans l’UE c’est pratiquement 90 % du temps. Comment dans de telles conditions – et après plus de 40 ans de recherche, développement et démonstration – imaginer que demain toute l’électricité sera d’origine renouvelable ? La Nature ne nous le permet pas !
Pas d’électricité sans réseau
Tous les ingénieurs ont appris dans leur cours d’électricité l’importance cruciale du réseau électrique. Ils avaient soulevé cette question cruciale lorsque vers 1988 on commença à parler d’obligation de production d’électricité d’origine renouvelable. Par exemple la Société Royale Belge d’électricité avait même organisé en 2004 une journée d’étude intitulée « la revanche de Kirchhoff » parce que dans la discipline des réseaux électriques il y a des lois précisément du nom de Kirchhoff qui imposent une série de réalités que la politique a voulu ignorer à l’époque et qui s’imposent vigoureusement aujourd’hui.
On ne peut donc absolument pas ignorer la réalité du réseau. Parler de production d’électricité et donc de coût de production aux bornes d’un générateur qu’il soit thermique ou renouvelable n’a aucun sens physique. Il faut absolument tenir compte de la réalité physique qui implique que l’électricité produite soit transportée, distribuée et consommée instantanément. Donc le coût de soumission de l’installation solaire égyptienne mentionnée au début ne veut rien dire car à cela doit s’ajouter le coût du transport et de la distribution. Dans le cas égyptien ces coûts ne sont pas supportés par l’entreprise soumissionnaire mais par le réseau électrique EETC que nous avons mentionné au premier point.
Il en est de même partout. Il est même malhonnête de continuer à faire croire que le coût de production de l’électricité n’est que le coût aux bornes du générateur, un argument pourtant récurrent dans la bouche des défenseurs des énergies renouvelables. Ce raisonnement est tellement utilisé que j’ai même dû le faire remarquer à un professeur d’université pourtant grand spécialiste des réseaux qui justifiait l’énergie solaire et éolienne en ne parlant que du coût de génération.
L’adéquation entre la demande et la génération d’électricité, la complexité de la gestion du réseau due à l’intermittence et le manque de disponibilité continue de l’électricité renouvelable complique le transport de l’électricité entre le générateur et le distributeur et la distribution depuis le distributeur jusqu’au consommateur final. Tout cela occasionne un surcoût que nous allons aborder dans le point suivant.
Évoquons un autre raccourci commun. On entend souvent dire que la production va devenir de plus en plus décentralisée au point qu’il est à la mode de parler de « prosumer », néologisme formé à partir des mots producteur et consommateur. Il va y avoir des regroupements de producteurs, par exemple des PME, qui désirent se rendre indépendants du réseau et qui donc auront une forme de décentralisation. D’autres veulent se rendre indépendant du réseau mais de manière « centralisée » avec de très grosses centrales comme c’est la cas de la centrale nucléaire de Olkiluoto en Finlande qui est la propriété d’un consortium de grands consommateurs d’électricité. Si en français, en italien, en roumain et en espagnol c’est le mot « centrale » qui a été choisi pour évoquer une installation de production d’électricité c’est parce qu’il est vite apparu lors de la révolution électrique qu’il y avait de nombreux avantages économiques et de gestion pour que la production d’électricité se fasse de manière « centralisée ». Vouloir aujourd’hui démanteler la production centralisée signifie aller à contresens du bon sens qui a conduit les ingénieurs électriciens du 20ème siècle à construire des « centrales électriques ».
On évoque également l’idée qu’en combinant la production renouvelable en secteur domestique avec un stockage en batterie (qui n’existe pas encore rappelons-le) on pourrait devenir autonome en production d’électricité et la conséquence serait alors de pouvoir se déconnecter du réseau électrique. Toutefois, puisque tout le monde ne pourra pas se couper du réseau électrique faute de moyens financiers mais aussi parce que cela serait impraticable pour toutes les entreprises et tous les services, d’évidence le réseau électrique ne disparaîtra pas. Il y a aura donc moins de clients connectés à un réseau dont le prix de gestion et de maintenance augmentera à cause de sa complexification, de sorte que ceux qui doivent rester connectés vont devoir se répartir le nouveau surcoût. Immanquablement, plus il y aura de prosumers plus les consommateurs connectés devront payer cher leur électricité. Cela va créer un nouveau problème social car d’évidence ce ne sont pas les classes sociales les moins aisées qui vont devenir des prosumers et donc les citoyens les moins nantis devront payer plus cher l’électricité qu’ils consomment. Un autre contresens social qui s’ajoute à celui des primes aux installations domestiques renouvelables accordées d’évidence aux plus nantis.
Évolution et structure du prix de l’électricité
Cet article ne prétend pas faire une analyse détaillée du prix de l’électricité mais plus modestement il vise à expliquer pourquoi il y a un impact de l’intermittence des énergies renouvelable sur son prix final. D’autres articles (notamment Paul L. Joskow) ou les livres traitent en détail cette question (notamment « La transition énergétique de Jacques Percebois et Jean-Pierre Hansen » ou « Fiasco énergétique de Corentin De Salle et David Clarinval). La Commission européenne étudie régulièrement l’évolution des prix de l’énergie dans l’UE. Le dernier rapport en date remonte à novembre 2016 dans le cadre de ce qui a été appelé le « winter package ». La communication COM (2016) 769 final détaille les prix et les coûts de l’électricité dans l’UE. La bonne nouvelle est que le prix de gros de l’électricité diminue sous le double effet à la fois de la concurrence entre générateurs grâce à l’ouverture du marché de l’électricité dans l’UE et aussi le coût nul du vent et du soleil c’est-à-dire le coût nul de la matière consommable des installations éoliennes et solaires. Les prix de gros de l’électricité ont chuté de près de 70 % depuis 2008 et de 55 % depuis 2011 et ont atteint en 2016 des niveaux jamais observés depuis 12 ans (Figure 8).
Toutefois, à la différence des prix de gros, le prix moyen aux consommateurs domestiques augmente. Pour l’UE le taux d’augmentation annuel moyen est de 3,2 % entre 2008 et 2015 (Figure 9). Les prix de l’électricité fournie aux entreprises font apparaître des hausses plus modestes, soit une hausse moyenne par État membre comprise entre 0,8 % et 3,1 % par an entre 2008 et 2015. En effet, par peur de la délocalisation et de la perte de compétitivité même intra-européenne les entreprises obtiennent de la part de leurs gouvernements et par divers mécanismes des réductions de prix. Il n’en demeure pas moins que le prix de l’électricité fournie aux entreprises européennes par rapport aux entreprises des USA est 1,7 fois supérieur et même de 3,5 fois supérieur par rapport à la Russie.
Ce sont les ménages qui in fine payent pour l’industrie puisque la gestion du réseau est la même pour le transport et la distribution aux industriels et aux particuliers. De sorte que pour les ménages le prix de détail moyen pour les 28 États membres est passé de 165 €/MWh à 207 /MWh. Mais on observe aussi que les taxes et les prélèvements qui représentaient 27 % de la facture en 2008 atteignent 39 % en 2015 (Figure 10). La figure montre que ce sont surtout les subsides qui augmentent en passant d’une moyenne de 15 % à 34 % de l’ensemble prélèvements et taxes (Figure 9). C’est une moyenne européenne mais il ne faut pas perdre de vue que certains pays comme l’Allemagne, le Danemark, l’Espagne ou la Belgique donnent bien plus de subsides que, par exemple, la Hongrie ou la Pologne (Figure 11).
Bien que ce soient les dernières fournies par la Commission européenne, les données pour tous les États membres que nous venons de présenter remontent à 2015. Le 7 août 2018 Eurostat a publié pour la première fois des données plus consolidées et bien mieux comparables que par le passé grâce à une nouvelle obligation des États membres à rapporter ces données. Malheureusement pour trois pays importants – Allemagne, Italie et Espagne – les données n’étaient pas disponibles au moment de la publication de ce rapport. Parmi les 24 États membres qui ont été en mesure de fournir les données, le prix de l’électricité par kilowattheure (kWh) payé par les ménages a varié entre 10 centimes (Bulgarie) et 28 centimes (Belgique). Dans la grande majorité des pays, le prix se situait entre 10 et 20 centimes/kWh. Avec 16,7 centimes par kWh la France se situe dans la moyenne de l’UE qui est (hors pays non rapportés) de 16,5 centimes/kWh
En l’absence de données pour l’Allemagne qui aurait probablement été le pays en tête pour ces aspects négatifs, on observe que la Belgique se singularise non seulement par le prix le plus élevé mais aussi par le coût du réseau le plus élevé (barre du milieu dans la Figure 12) probablement à cause du coût de distribution géré par des intercommunales, entendez essentiellement le pouvoir politique local. Le Danemark est l’État membre qui taxe le plus l’électricité domestique mais grâce à son énergie éolienne (51 % de la consommation) le vent étant gratuit le prix de production de l’électricité est parmi les plus bas de l’UE. Ceci démontre bien ce que nous disions au début : le prix aux bornes du générateur n’est qu’un leurre car il faut tenir compte de l’ensemble des coûts.
La Figure 13, établie avec les dernières données d’Eurostat tant pour le prix que pour les pourcentages d’électricité produite, enseigne qu’il existe une corrélation entre le prix de l’électricité vendue aux ménages et le pourcentage d’électricité intermittente produite. De nouveau la Belgique se singularise avec un prix très élevé malgré un pourcentage de seulement 12 % d’électricité intermittente. Malgré quelques exceptions force est de constater qu’à un pourcentage d’électricité intermittente croissant correspond un prix de l’électricité domestique grandissant.
La Figure 14 est similaire à la Figure 13 mais cette fois en fonction de la puissance installée d’électricité renouvelable intermittente par habitant pour avoir un étalon de mesure commun aux divers pays, quelle que soit leur population. Elle tient compte plus spécifiquement des sommes investies (par habitant) dans la construction de centrales à énergies renouvelables intermittentes, sommes largement couvertes par des financements publics, c’est-à-dire en fin de compte par le citoyen, sous une forme ou une autre (taxe, TVA, contribution de solidarité écologique, tarif d’électricité, etc.).
(source Jozef Ongena et al, Arguments)
En conclusion
Je vais conclure par une phrase des leçons d’électrochimie du Prof Donald Sadoway du MIT (que j’ai le privilège de connaître personnellement et qui est le meilleur expert au monde de batteries) « for deployment of renewables : unless their intermittency can be addressed they cannot contribute to baseload. Even if you had 100% conversion efficiency in photovoltaics they still wouldn’t make it in much of the marketplace ».
Notes
[a] Cette photo est prise dans la partie historique du laboratoire, le reste étant plus moderne.
Excellent.
Mais il faut continuer le raisonnement et mieux conclure.
Si les renouvelables sont « impropres à la consommation », du moins dès que leur production devient significative, il ne reste plus que les « pilotables », c’est à dire la production hydraulique de lac, les fossiles (charbon, gaz, pétrole) et le nucléaire.
Éliminons les fossiles pour leur impact écologique ; les centrales hydrauliques dépendent de la géographie du pays qui limite la capacité installée. Si la Norvège ou la Suisse ont la chance de pouvoir disposer de cette source d’énergie renouvelable non intermittente, en France elle ne peut satisfaire plus de 12% des besoins, et il en est de même dans de nombreux pays comme l’Allemagne.
Conclusion : le nucléaire est incontournable, si l’on veut continuer à satisfaire nos besoins et nous développer (le PIB est directement proportionnel à l’énergie produite ! ). Ses détracteurs, qui se cachent sous le vocable « Verts », nous poussent à revenir à l’époque préindustrielle et leurs propos tronqués à propos d’énergie renouvelables « inépuisables et gratuites » sont trompeurs ainsi que le montre cet article.
Ailleurs que dans les pays latins, l’écologie qui est une science noble, ne s’oppose pas au nucléaire. C’est notamment le cas de « environnementalistes » américains.
La France, à condition de ne pas nommer des écolos politiques au gouvernement, a fait le bon choix : n’en déplaise au démissionnaire Hulot qui n’a pourtant pas été le pire !!!
Merci pour cette étude détaillée et globale, mais il me semble manquer un aspect important: l’impact sur les morts de la pollution et sur le climat.
Sur le fond l’origine de la directive est , si je ne m’abuse,une déclinaison des recommandations du GIEC et de l’ONU invitant les pays qui le peuvent à diminuer drastiquement la combustion et notamment pour l’électricité, remplacer les moyens carbonnés par des ENRi.
L’idéologie antinucléaire est passé par là,en Allemagne et en France, alors que l’OMS donne pour le nucléaire civil avec Tchernobyl et Fukushima 10000 morts/an il en attribue 7Millions à la combustion (issus des déchets rejetés dans l’atmosphère , dont 100 par jour en France contre zéro pour le nucléaire) ensuite vient le réchauffement climatique ou le nucléaire à toute sa place CQFD ONU
Alors que l’intermitence des ENRi a aussi un inconvénient majeur à rajouter à tout ce qui a été dit: une augmentation significative de l’empreinte GES et des pollutions par les moyens forcément carboné pour pallier l’intermittence.
Voir les résultats Allemands et Francaisdes deux dernières années.
Même avec la désindustrialisation massive que la France subit, nous ne réussirons pas à faire mieux, si ce n’est enrichir a cout de subventions ehontées (120Md€ engagés +20 offshore inutile+20 fermeture de Fessenheim) les prédateurs (GE) pour nous contraindre (CBS NEWS Donald Trump: L’Europe est un ennemi!) ce qui est est fait on comprend mieux. (Vente Alstom)
Nous savons, depuis fort longtemps, comment les éoliennes sont impropres à fournir une énergie correcte, maitrisable. Au début du 17ème siècle Cervantes publie son Don Quichotte qui, comme chacun sait, à un moment lutte contre les moulins à vent. Ceux-ci représentaient déjà une puissance industrielle incontrôlable, un « lobby », ramassant les gains et les investissements au dépens d’une activité ‘à la ferme’. Cervantes ne fait pas que décrire la fin de la chevalerie, il met aussi en scène les nouvelles forces économiques et politiques qui s’imposent. Plus tard au début du 20ème siècle une chanson ‘Meunier tu dors’ est très populaire chez les enfants. Elle a été recomposée de comptines classiques. Pourquoi le meunier dort-il? Parce qu’il est épuisé et n’a pas dormi la nuit. Pourquoi? Il devait rester dans son moulin pour « profiter » du moindre coup de vent, en modulant l’orientation et la voilure des ailes. Puis, « son moulin va trop fort »; bien sûr il y a surproduction l’après midi, il faudrait abattre de la voilure et limiter l’exposition, mais il n’en peut plus! Je sais tout ça car tous mes ancêtres étaient meuniers de moulins à vent…L’un d’entre eux vers 1860 était fort savant, car il lisait et relisait, la nuit, en attendant le « coup de vent » livres et dictionnaires. Le dernier de la lignée a fait venir l’électricité de la ville, vers 1925 et remplacé le moulin par un moteur électrique, une minoterie. Là il a pu commencer a gérer son personnel normalement, proposer dimanches et repos, commencer à heure fixe, fermer à 18h etc. La productivité a été multipliée!! Bien que la conversion de l’énergie du vent en énergie mécanique de la meule soit, du point de vue énergétique, la plus rentable qui soit.
Pourquoi diable faut-il que nous fassions le chemin inverse maintenant; n’avons-nous donc rien appris des anciens?
Merci beaucoup pour votre message et en particulier pour votre référence à la chanson « Meunier tu dors ». Je vais la ressortir souvent en pensant à vous. C’est exactement cela qui se passe !
Comme j’habite en Suède je voudrais faire deux remarques.
En ce qui concerne les taxes au Danemark et en Suède, le choix a été de plus taxer les matières premières et l’énergie plutôt que le travail; d’une part pour inciter à l’efficacité énergétique (il y avait un gaspillage épouvantable en Suède avant 1980) et d’autre part pour essayer de pérenniser l’emploi.
Il faut aussi prendre en compte le fait que lorsqu’on double le temps de la scolarité et qu’on construit des autoroutes sans péage il faut bien trouver l’argent quelque part.
Côté réseau, comme pour l’assainissement, il est nécessaire de rénover et de renforcer car la clientèle et la législations actuelles ne supportent plus les coupures lors de tempêtes. On enterre donc de plus en plus le réseau de distribution et on acquiert des groupes électrogènes mobiles, ce qui n’est évidement pas gratuit.
L’introduction de la concurrence obligatoire ajoute des frais de gestion parfaitement inutiles (une armée de commerciaux et de publicitaires s’ingénie à me faire changer de fournisseur alors que je n’ai même pas un euro bimensuel à y gagner puisque je loge en appartement et que le chauffage et l’eau chaude sont fournis par le chauffage urbain).
Ma deuxième remarque concerne l’intermittence.
On oublie trop souvent que la consommation varie énormément et que pour assurer aussi bien les pointes de consommation extraordinaires que l’arrêt brutal d’une grosse tranche il y a forcement des capacités de production qui ne tournent presque jamais.
En Suède la construction du parc nucléaire a mené à la construction du STEP de Juktan, à l’installation de turbines à gaz, au doublement de la puissance installée des centrales hydrauliques du nord (bien au delà du potentiel hydraulique annuel) et du réseau THT, plus à la mise dans la naphtaline de la centrale thermique de Karlshamn. Avec le chamboulement réglementaire imposé par l’UE, Juktan et les turbines à gaz n’étant pas rentables ont été supprimés.
Lorsque le nucléaire est tombé en carafe ces installations ont manqué et les prix de l’électricité ont bondi.
Ce qui est en cause est l’idéologie de l’UE, comme pour la concurrence obligatoire sur le marché des micro-consommateurs. La création d’un marché de la capacité vient de là. Avant l’UE les réserves faisaient partie du parc des gros producteurs, donc faisaient partie du prix de gros comme de détail.
Les investissements dans l’hydraulique réalisés pour sécuriser la Finlande et la Suède nucléaires servent actuellement en plus à sécuriser la zone balto-fenno-scandinave de plus en plus éolienne et solaire, après l’ajout de plusieurs cables transfrontaliers.
Après plusieurs années sèches consécutives nous avions connu le rationnement d’électricité en 1973. Ce risque a fortement diminué au fur et à mesure que les parcs éoliens du nord permettent d’économiser l’eau des barrages en cas de besoin.
La Belgique et les autres fourmilières n’ayant pas le quart de la capacité hydraulique relative du nord de l’Europe me semblent condamnées à brûler du gaz pendant longtemps, éoliennes ou pas.
Merci pour ces commentaires élaborés et bien corrects.