par Ernest MUND
Directeur de recherches honoraire du FNRS
Professeur extraordinaire émérite de l’UCL
- Introduction
La Belgique est à la recherche d’un mix électrique pour remplacer les 50 pour-cent de sa production actuelle d’électricité qui vont disparaître du fait de la fermeture de ses sept centrales nucléaires en 2025. Dans l’esprit des Autorités le nouveau mix doit avoir pour objectif essentiel l’efficacité énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. Le choix est d’autant plus délicat que les contraintes politiques, socio-économiques, techniques et environnementales qui le détermineront sont nombreuses, voire parfois opposées. La clé de voûte réside dans la loi de 2003 qui interdit l’utilisation de la fission aux fins de production d’énergie, véritable tabou dont le bien-fondé est pour le moins contestable. Apparaît ici la contradiction la plus frappante avec des principes affichés ailleurs, avec force. La Belgique a en effet adopté les conclusions de la COP21 concernant la lutte contre les gaz à effet de serre, et l’a réaffirmé solennellement par la voix du Premier Ministre dans sa déclaration à la Chambre des représentants en octobre 2017. S’il est un moyen de production d’énergie dont la trace carbone est voisine de zéro c’est précisément le nucléaire de fission, complément indispensable des énergies renouvelables intermittentes, elles aussi dépourvues d’émissions de gaz à effet de serre. Ces dernières (éolien et solaire) fournissent de l’électricité quand les conditions météo sont favorables avec des facteurs de charge (temps de production) qui n’excèdent pas 35% pour l’éolien maritime, 25% pour l’éolien terrestre et, sous nos latitudes, de 15% seulement pour le solaire. L’énergie nucléaire avec un facteur de charge d’au moins 80% fournit la demande instantanée, à peu près tout au long de l’année. Renoncer à l’électricité en based’origine nucléaire revient à imposer une autre électricité en base pour stabiliser le réseau et éviter les blackouts. Cette autre électricité ne peut être que d’origine fossile (charbon ou gaz) la Belgique n’étant pas, contrairement à d’autres pays européens, pourvue de ressources hydrauliques pilotables importantes comme les barrages. C’est le choix qu’a fait l’Allemagne (Energiewende) avec la houille et le lignite, une variété de charbon particulièrement polluante dont elle est abondamment pourvue. Pour d’ardents défenseurs du climat cette attitude est scandaleuse, ce qui expliquait l’attitude des Verts (qui en exigent l’abandon), dans la tentative fin 2017 de formation d’une coalition gouvernementale par Angela Merkel.
En guise de réponse à cette objection, des voix s’élèvent çà et là pour affirmer qu’à terme l’électricité pourra être à 100% d’origine renouvelable et que la situation est donc purement transitoire. Les spécialistes des réseaux électriques contestent ces affirmations qui ignorent des contraintes techniques telles que le maintien de la fréquence et de la tension. Une étude récente menée par un groupe de chercheurs d’EDF montre clairement que 60% d’énergie renouvelable dont 40% d’éolien et solaire, est un maximum au-delà duquel il est difficile d’éviter de très sérieux problèmes de stabilité des réseaux. Sans compter une croissance considérable des investissements car le rendement du gigawatt renouvelable additionnel pour éviter des réductions d’alimentation est décroissant [1].
Une autre contrainte liée à l’électricité est l’impossibilité de son stockage en grande quantité. Production et consommation doivent être (à peu près) en équilibre à tout instant. Un volant de stockage existe avec le principe du pompage/turbinage dans des réservoirs d’accumulation. Il est exploité en Belgique, pionnière en ce domaine, dans l’installation de Coo dont la capacité annuelle de stockage/restitution s’élève à environ 1% de la consommation d’électricité du pays. L’électricité peut aussi être stockée en batterie. Des progrès importants ont été faits récemment dans le développement de batteries ion-lithium de grande capacité. Tesla développe en Australie une batterie susceptible de stocker 129 MWh correspondant à l’électricité produite par une éolienne de 3 MW durant une semaine, ce qui est remarquable. On est cependant encore loin de la possibilité de stocker de l’électricité à l’échelle industrielle de manière à gérer au mieux l’électricité renouvelable intermittente. De plus, à supposer qu’un stockage massif en batteries soit possible, il posera aussi de très sérieux problèmes d’environnement par une augmentation considérable du recours à des ressources minérales rares (voir [2]). A l’heure actuelle, lorsque l’offre excède la demande et qu’il y a encombrement des lignes de transmission, le prix de l’électricité devientnégatif, de gros consommateurs industriels étantpayéspour consommer le surplus d’électricité dont les lois de la physique commandent de se débarrasser. Une situation pour le moins anormale qui montre combien l’équilibre entre les formes pilotables (nucléaire, gaz, hydraulique, biomasse) et non-pilotables (éolien, solaire) de l’électricité doit être convenablement ajusté.
- Les scénarios du Bureau Fédéral du Plan
Nul ne sait encore ce que sera le mix-électrique post-2025 mais il est permis de s’en faire une idée grâce à un document du Bureau Fédéral du Plan (BFP) publié en février 2017 [3]. Les auteurs y analysent cinq scénarios combinant les énergies renouvelables et le gaz sous des angles socio-économiques (coûts, emplois, balance commerciale) et environnementaux (rejets de CO2) à l’horizon de 2027 en supposant que la demande d’électricité à cette date soit de 94 TWh (milliards de kWh) par an. Précisons que pour l’année 2016 la consommation d’électricité en Belgique s’élevait à 85 TWh avec une production de 49,45% d’origine nucléaire et de 18,47% de renouvelables, c’est-à-dire une production d’électricité quasi sans trace carbonede 67,92% et des importations d’électricité en provenance de pays voisins, au niveau de 7,41% de la consommation totale.
Sans entrer dans le détail des cinq scénarios (Sc1 … Sc5), disons qu’ils mettent tantôt l’accent sur l’utilisation du gaz (Sc1 et Sc3), tantôt sur l’utilisation des énergies renouvelables intermittentes (Sc2 et Sc4) ou sur l’utilisation de ces dernières avec un renforcement du gaz (Sc5). Un élément important qui différencie Sc1 et Sc3 des autres scénarios est que, pour ces trois derniers, la taxe carbone ETS située aujourd’hui aux alentours de 5€/tonne, est portée en 2025 à 57,45€/tonne. De plus amples détails sont décrits dans la référence [3]. Les principaux résultats de l’étude sont rassemblés dans le tableau ci-dessous.
Les éléments les plus frappants du tableau sont les montants colossaux des investissements requis (de 11 à 33 milliards d’euros selon les cas) et, pour certains scénarios, un recours très élevé au gaz ou aux importations d’électricité avec comme corollaire de fortes dégradations de l’indépendance énergétique du pays, de sa balance commerciale, voire de sa dette. Pour les 4 premiers scénarios les importations d’électricité vont de 23% (Sc3) à 32% (Sc1), montants considérables qui posent une question fondamentale : la Belgique peut-elle dépendre à ce point de l’étranger pour sa fourniture d’électricité, dans la mesure où celle-ci n’est pas absolument garantie et où les interconnexions ne sont pas suffisantes? L’Allemagne a les difficultés que l’on connaît et qui risquent de s’accroître lors de la prochaine législature en cas de fermeture de ses centrales au charbon. Les Pays-Bas ont récemment annoncé la fermeture prochaine de leurs centrales au charbon (31% de la production d’électricité). Enfin, la France envisage la fermeture de 16 tranches nucléaires, au profit de renouvelable intermittent ce qui pénaliserait fortement ses capacités d’exportation d’électricité.Les échanges transfrontaliers font partie des règles habituelles, ne serait-ce que pour assurer les équilibres de charge mentionnés plus haut. Mais importer jusqu’à un tiers de sa consommation est une autre affaire : perte d’indépendance, de maîtrise des coûts et de droits au chapitre. Tant que la politique énergétique est, en dernière analyse, du ressort des Etats européens, s’engager dans la voie de l’importation massive d’électricité sans maîtrise des coûts est une stratégie périlleuse du point de vue économique. Cela s’apparente à une démission industrielle. Il en irait évidemment tout autrement si la politique énergétique était une compétence exclusive de l’Union européenne incluant le choix des moyens de production et une répartition optimale de ceux-ci en fonction des ressources naturelles (hydraulique, éolien, solaire, eau de refroidissement pour la production thermique). Hélas, rien ne permet de penser que les choses puissent changer dans le moyen terme.
Sc1 | Sc2 | Sc3 | Sc4 | Sc5 | |
Demande (TWh) | 94 | 95 | 93 | 95 | 94 |
Production nette (TWh) | 64 | 66 | 72 | 73 | 96 |
Importations nettes (TWh) | 30 | 29 | 21 | 22 | -2 |
Gaz (TWh) | 16.2 | 11.5 | 25.1 | 18.2 | 42.6 |
EnR (TWh) | 47.8 | 54.5 | 46.5 | 54.5 | 53.5 |
Emissions de CO2 (MT) | 5.6 | 3.9 | 8.6 | 6.2 | 14 |
Investissements (B€ | 11-12 | 26-32 | 11 | 26 | 28 |
Déficit commercial énergie (B€) | 3 | 2.7 | 3 | 2.8 | 1.3 |
Taxe carbone – ETS (M€) | 95 | 66 | 494 | 357 | 576 |
Coût marginal (c€/kWh) | 71.1 | 73.4 | 97.3 | 99.7 | 95 |
M€ ≡ million d’euros ; B€ ≡ milliard d’euros ; MT ≡ million de tonnes ; c€ ≡ centime d’euro
Force est donc de constater que le Sc5, volontariste en matière de gaz, est le scénario le plus crédible.Il annule le recours aux importations d’électricité et offre même une petite possibilité d’exportation. En revanche la production d’électricité à partir de gaz est pratiquement double de celle d’aujourd’hui (42,6 TWh comparée à 23,15 TWh) entraînant un risque géopolitique accru lié aux pays exportateurs de gaz. Par ailleurs ce scénario implique d’énormes investissements et une taxe carbone élevée sans véritable diminution des relâchements de CO2. Ceux-ci passeraient à 14 MT contre 16 MT aujourd’hui. En termes d’électricité totalement dépourvue de trace carbone, le pourcentage reculerait même de 67,9 à 56,8%. Remarquons en passant que dans le tableau, les cas les plus favorables en matière de rejets de CO2 sont ceux qui correspondent aux importations élevées. Si ces importations viennent d’Allemagne ou des Pays-Bas, elles seront faites pour une grande partie d’électricité carbonée, en contradiction à nouveau avec les principes affichés.
La dernière ligne du tableau relative au coût marginal de l’électricité produite (c’est-à-dire au coût du kWh additionnel fourni pour satisfaire la demande d’électricité de pointe et éviter la rupture d’approvisionnement) intéresse directement le grand public. Elle indique que la facture d’électricité en 2027 devrait être significativement augmentée.
La seule option qui n’est pas prise en compte dans l’étude du BFP est celle d’un prolongement des centrales nucléaires existantes. Une prolongation de la durée de vie de 40 à 60 ans est possible. C’est une procédure courante aux USA, pays qui n’a pas la réputation d’être laxiste en matière de sûreté ; près de 80% des unités nucléaires en ont reçu l’autorisation. Dans un rapport adressé au groupe GEMIX chargé de l’évaluation de différents scénarios pour la mise en œuvre de la loi de 2003, un groupe d’ingénieurs du SCK·CEN, spécialistes du comportement mécanique des matériaux irradiés, écrit « … Using the strictly regulatory approach based on the results of Charpy impact tests, we have shown that sufficiently safety margins exist with respect to the most severe accident scenario (pressurized thermal shock) for all the pressure vessels of the 7 Belgian nuclear power plants, and considering an operation extension to 60 years of service … », ce qui va dans le sens de cette option (voir [4]). Ces chercheurs ont établi sur des bases scientifiques très solides la sûreté des cuves des réacteurs Doel-1,2 et Tihange-1, à l’échéance de 60 ans. L’analyse des éprouvettes de surveillance de la tenue sous irradiation des cuves de Doel-4 et Tihange-3 montre qu’une extension de la durée de vie à 80 ans de ces installations peut être envisagée. En ce qui concerne les réacteurs Doel-3 et Tihange-2, la découverte en 2012 d’inclusions d’hydrogène dans les cuvesayant entraîné l’arrêt de ces deux installations durant l’année 2015a fait l’objet d’études théoriques et expérimentales très approfondies, sur les caractéristiques de ces défauts et sur leur évolution dans le temps. De ces études, avalisées par des commissions d’experts internationaux, il ressort aujourd’hui que la durée de vie des cuves de ces dernières est au minimum de 40 ans compte tenu d’une marge importante de sécurité. Toute prolongation de leur durée de vie devra cependant faire l’objet d’une analyse de leur état et être assortie d’une autorisation formelle du gendarme national de la sûreté nucléaire, la FANC/AFCN.
Dans son rapport de 2009, la commission GEMIX préconisait une extension de 40 à 60 ans de la durée de vie des sept réacteurs (option B) comme alternative aux investissements dans des moyens de production d’électricité plus chers [5]. Cette suggestion n’a pas été retenue. La question importante est celle du coût de l’opération désignée en France sous le nom de grand carénage. Pour l’Agence Internationale de l’Energie, le grand carénage de Tihange-1 (10 ans) est évalué à 600 M€ (soit 625€/kWe); ceux de Doel-1 et Doel-2 à 700M€ (soit 790€/kWe) [6,7]. En prenant les valeurs de 1 milliard d’euros pour les quatre autres tranches on en arrive à une facture de 5,3 milliards d’euros pour prolonger les centrales existantes jusqu’en 2035. La différence entre les deux factures, c’est-à-dire les investissements induits par chacun des scénarios mentionnés dans le tableau (11 à 33 milliards) et le coût du grand carénage, se passe de commentaire.
Du point de vue de la lutte contre le changement climatique les scénarios post-2025 envisagés sont plutôt médiocres. Présenter le pacte énergétique envisagé comme un élément de la défense de l’environnement contredit la réalité. Celle-ci réside dans le fait que le ‘politiquement correct’ voue le nucléaire aux gémonies et compte bien gagner le procès en sorcellerie engagé contre lui depuis longtemps. Ce procès est sur le point de réussir. Quel en est le prix ? La question est très complexe car, outre les éléments qui peuvent être chiffrés, il y a aussi ceux qui sont beaucoup moins faciles à quantifier comme indiqué ci-dessous.
- La Belgique et le nucléaire de Génération-IV
La Belgique a été un pionnier de la première époque du nucléaire [8,9]. Elle est encore à la pointe des connaissances aujourd’hui. De nombreuses innovations techniques ont ponctué le développement de l’industrie nucléaire belge, le plus souvent en étroite collaboration avec le SCK·CEN à Mol. En dépit d’une taille et de moyens financiers réduits par rapport à ceux de grands centres de recherche étrangers, la qualité des apports du SCK·CEN aux différents domaines dans lesquels il s’est investi n’a rien à envier à celle de ses homologues, dont il est d’ailleurs souvent le partenaire dans des programmes communs de recherche. Le SCK·CEN a toujours été à la pointe du progrès et il a souvent été un précurseur comme il l’est aujourd’hui avec le projet MYRRHA de développement d’une installation nucléaire de recherche basée sur la technologie de Génération-IV avec trois objectifs : 1/ le développement de solutions innovantes pour la gestion des déchets les plus radiotoxiques du passif nucléaire actuel, 2/ la production de radio-isotopes nouveaux pour la thérapie du cancer, 3/ le développement de matériaux nouveaux nécessaires pour la fusion et les installations de Génération-IV.
L’étiquette Génération-IV désigne collectivement les réacteurs du futur, incluant des réacteurs à eau mais aussi des réacteurs de conception totalement différente de ceux en service aujourd’hui, qui répondent à quatre impératifs rigoureux : 1/ respect de l’environnement(c’est-à-dire économie des ressources naturelles et minimisation des déchets), 2/ sûreté et fiabilité(probabilité d’accidents infime, ceux-ci étant de plus strictement sans conséquences sur l’environnement extérieur des centrales), 3/ résistance à la prolifération et protection physique et enfin, 4/ économieau sens financier du terme [10]. Génération-IV et les réacteurs modulaires de faible taille (SMR) constituent les deux paradigmes fondamentaux du nucléaire du futur qui doit arriver à maturité aux alentours de 2035 et contribuer de manière durable (au sens des quatre critères énoncés ci-dessus) aux besoins en énergie d’une fraction bien plus large de la population que celle qui dispose du nucléaire aujourd’hui [11].
L’installation MYRRHA est un réacteur sous-critique à neutrons rapides, refroidi à l’aide d’un alliage plomb-bismuth liquide à haute température, couplé à un accélérateur (voir [12]). Elle devrait jouer un rôle essentiel dans la recherche pour l’élimination des actinides mineurs, ces éléments synthétisés dans les réactions nucléaires qui accompagnent le processus de fission et dont la durée de vie est de l’ordre du million d’années. Collectivement inclus dans les déchets, ils sont les principaux responsables de la difficulté majeure d’élimination de ces derniers. Or, plusieurs actinides mineurs sont fissiles ce qui signifie que, par réactions nucléaires, ils peuvent être réduits à des éléments moins radiotoxiques et de demi-vie beaucoup plus courte. Leurs propriétés de fission ne permettent pas de les incinérer dans des réacteurs classiques. Par contre, dans un réacteur à neutrons rapides fonctionnant à l’état sous-critique, la chose est parfaitement possible. La masse isotopique élevée de l’eutectique plomb-bismuth (>200) fait de cet élément une cible de choix pour produire des neutrons supplémentaires en grande quantité pour compenser la sous-criticité, par éjection de ceux-ci des noyaux de la cible sous l’impact de protons de très haute énergie (600 MeV) fournis par un accélérateur auxiliaire.
MYRRHA pourrait donc à terme constituer le Graal de la question tant agitée des déchets de haute activité et longues demi-vies. A l’heure actuelle le projet est à un stade avancé de R&D. Il fait l’objet d’un suivi régulier de l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (FANC/AFCN). Il est cependant loin d’être finalisé et l’on envisage son développement en trois phases : 1/ construction d’ici 2024 d’un accélérateur linéaire de 100 MeV, complété par des stations de recherche de physique nucléaire fondamentale pour la production de radio-isotopes nouveaux et la recherche sur les matériaux nucléaires, 2/ évolution de l’énergie des particules du faisceau jusqu’à 600 MeV, 3/ réalisation du réacteur sous-critique. Ce développement en trois phases est dicté par les contraintes de financement du projet et le temps nécessaire pour obtenir l’autorisation d’une technologie nucléaire nouvelle. La date de mise en service de MYRRHA envisagée aujourd’hui est aux alentours de 2030. Elle n’est évidemment pas garantie. Il n’est pas utopique cependant d’envisager qu’un consortium d’industries de tous les secteurs concernés – nucléaire, construction mécanique, engineering, métallurgie, accélérateurs de particules – ainsi que de groupes financiers s’associent au SCK·CEN pour assurer un avenir commercial au concept MYRRHA. Malgré un relatif déclin, l’industrie nucléaire belge conserve beaucoup d’atouts et de savoir-faire. Le marché pour une installation de type MYRRHA est mondial et la Belgique pourrait disposer ici d’une opportunité assez rare de revigorer son tissu industriel.
Le projet a des concurrents en Europe (Alfred), aux USA (SSTAR) et en Russie (BREST). Toute entrave à l’impulsion actuelle – et la sortie du nucléaire en 2025 en serait fatalement une – rendrait les choses plus difficiles. Un projet aussi ambitieux nécessite une pépinière de talents pour aboutir. Comment convaincre en effet des jeunes parmi les plus doués, d’entamer une carrière dans un secteur d’activités rejeté par les Autorités de ce même pays.
- Conclusion
La Belgique a vécu la fermeture progressive de tous ses charbonnages à partir du début des années 60, pour des raisons économiques. Le coût économique et social en fut très élevé. Mais, des sources alternatives d’énergie primaire moins chères (charbon étranger, pétrole, gaz, énergie nucléaire) prirent la relève et la poursuite de la croissance du pays ne fut pas trop perturbée.
La Belgique s’apprête cette fois à fermer ses centrales nucléaires. La raison ici n’est pas économique ; elle est liée à une méfiance irréductible (voir [13]) d’une partie de l’opinion publique à l’égard de cette technologie. La méfiance est respectable mais son côté irréductible(allant jusqu’à inscrire dans la loi l’interdiction de recourir à un mécanisme physique de libération d’énergie pour pouvoir en bénéficier) pose un sérieux problème. Il ferme définitivement la porte à une technologie d’avenir en pleine mutation, seule à même de fournir de l’électricité en base sans émission de gaz à effet de serre, complément indispensable des énergies renouvelables intermittentes et, de surcroît, très compétitive. Une telle méfiance a un coût forcément très élevé comme analysé de façon très incomplète dans cette note : incohérence entre la politique climatique et sa mise en œuvre, perte d’indépendance énergétique, augmentation drastique des prix de l’électricité, renoncement aux bénéfices futurs des investissements réalisés dans le capital que constitue la recherche… Plus grave peut-être, dans une perspective d’avenir : perte de compétences et désintérêt des jeunes générations pour une technique à l’aube d’un nouvel essor. Sans compter aussi un coût social inévitable dans le secteur nucléaire électrique qui, selon les données du Forum Nucléaire Belge, emploie aujourd’hui environ 10.000 personnes (voir [14]).
Quel profit industriel la Belgique pourrait-elle tirer en contrepartie de l’abandon du nucléaire? Pas grand-chose, les composantes essentielles des installations renouvelables (éoliennes, panneaux solaires) étant des productions étrangères, pas même européennes. L’abandon du nucléaire ne serait donc pas ipso factole point de départ d’un nouveau chapitre industriel du pays doté d’un grand potentiel d’exportation. Il y aurait bien création d’emplois dans le secteur électrique (les services d’installation et de maintenance) et aussi certainement création de start-ups pour le développement et la gestion de micro-réseaux avec un potentiel d’exportation plus limité. Par contre, l’abandon du nucléaire fermerait la porte au développement d’une industrie belge autour du concept MYRRHA.
Une stratégie plus indiquée, faisant preuve de prudence et dans la ligne des méfiances de l’opinion publique consisterait à prolonger la durée de vie des sept centrales de 20 ans (option B du rapport GEMIX, reportant l’échéance de dernière fermeture à 2045) pour autant que toutes les garanties soient fournies par les Autorités de sûreté (FANC/AFCN).
Il y aurait lieu toutefois, en parallèle de cette prolongation, de modifier la loi de 2003 de manière telle que la clause d’interdiction du recours à la fission en disparaisse. Rien ne permet a priori d’exclure aujourd’hui le fait que la Belgique soit amenée dans un futur peu éloigné à recourir à nouveau au nucléaire. Surtout si, comme retombée des investissements qu’elle a réalisés dans la recherche, un constructeur belge de réacteur nucléaire voit le jour, comme c’est le cas aujourd’hui un peu partout dans le monde pour les nombreux concepteurs de SMR. La période 2025-2050 est celle de la transition entre les nucléaires d’aujourd’hui et de demain. Sa traversée sera délicate en ce qui concerne les décisions à prendre. La modification de la loi de 2003 constituerait un signal clair de la volonté du pays de rester dans la course pour pouvoir prendre, le moment voulu, les décisions nécessaires.
Références
[1] V. Silva, M. lopez-Botet Zulueta, Ye Wang, Paul Fourment, T. Hinchliffe, A. Burtin, ‘Analyse technico-économique d’un système électrique européen avec 60% d’énergies renouvelables’, Revue de l’Electricité et de l’Electronique (REE) N°5, 40-53, 2016. [2] D. La Porta et al., The Growing Role of Minerals and Metals for a Low Carbon Future, World Bank Group, Washington D.C., June 2017http://documents.worldbank.org/curated/en/207371500386458722/The-Growing-Role-of-Minerals-and-Metals-for-a-Low-Carbon-Future. [3] D. Devogelaer, D. Gusbin, ‘Cost-benefit analysis of a selection of policy scenarios on an adequate future Belgian power system – economic insights on different capacity portfolio and import scenarios’, Bureau Fédéral du Plan, 1-37, 2017. [4] E. Lucon, R. Chaouadi, M. Scibetta and E. van Walle, ‘Status and Perspectives of Nuclear Reactor Pressure Vessel Life Extension up to 60 Years Operation in Belgium’, SCK·CEN-Blg-1066, 2009. [5] Groupe GEMIX, ‘Quel mix énergétique idéal pour la Belgique aux horizons 2020 et 2030 ?’, Ministère du Climat et de l’Energie, 2009, http://economie.fgov.be/fr/binaries/rapport_gemix_2009_fr_tcm326-76356.pdf [6] International Energy Agency, ‘Energy Policies of IEA Countries – Belgium 2016 Review’https:// www.iea.org/publications/freepublications/publication/Energy_Policies_of_IEA_Countries_Belgium_2016_Review.pdf [7] NEA/OECD, ‘The Economics of Long-term Operation of Nuclear Power Plants’, NEA No-7054, 2012 http://www.oecd-nea.org/ndd/reports/2012/7054-long-term-operation-npps.pdf [8] P. Govaerts, A. Jaumotte, J. Vanderlinden, Eds, ‘Un demi-siècle de nucléaire en Belgique’, Belgian Nuclear Society, 709pp, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1994. [9] M. Maris, A. Jaumotte, P. Govaerts, Eds, ‘Histoire du nucléaire en Belgique, 1990-2005’, Belgian Nuclear Society, 472pp, P.I.E Peter Lang, Bruxelles, 2007. [10] Gen-IV International Forum Annual Report 2016 - https://www.gen-4.org/gif/jcms/c_9260/public [11] E. Mund, ‘Quelle énergie nucléaire pour l’après Fukushima ?’, Revue des Questions Scientifiques, 2013, 184 (1) [12] D. De Bruyn, H. Aït Abderrahim, P. Baeten & J. Verpoorten, ‘The Belgian MYRRHA ADS project : recent developments and future perspectives’ - 10th annual International Conference on Sustainable Development through Nuclear Research and Education, Pitesti (mai 2017), publié dans Journal of Nuclear Research and Development, 14, 3-8, décembre 2017.[13] C. Turcanu, T. Perko, E. Latré, ‘The SCK·CEN Barometer 2015 – Perceptions and attitudes towards nuclear technologies in the Belgian population’, SCK·CEN -Blg-1108, 2016. [14] Forum Nucléaire Belge - https://www.forumnucleaire.be/theme/energie/plus-de-10-000-emplois-en-belgique?utm_source=social&utm_medium=twitter&utm_campaign=newse/
Merci, Professeur Mund, pour cet article empli de rigueur et de bon sens !
Espérons que les schémas mentaux des milieux d’activistes et des politiciens à tous niveaux de pouvoir qui les suivent (assez aveuglément ?) se trouveront mieux éclairés par ce contenu ci-dessus…
A toute fin utile, pour les personnes désireuses d’établir un BILAN relatif à la situation du nucléaire énergétique à travers le monde : allez donc visiter le site suivant ?
http://www.world-nuclear.org/information-library/facts-and-figures/reactor-database.aspx
Cela fait un immense plaisir professeur Mund de lire des réflexions de bon sens.
Le problème c’est que le SPF santé et environnement soit conseillé par des non scientifiques et que la Belgique se soit enfermée dans des accords internationaux stupides (COP 21 et 23).
Un autre sujet d’inquiétude est le succès électoral des écolos.
Puissiez-vous faire entendre votre voix auprès du formateur du prochain gouvernement pour ré-orienter intelligemment la future politique énergétique.